Il aura fallu plus d’un an et pas moins de trois lectures à l’Assemblée nationale et au Sénat pour parvenir à un accord. La proposition de loi visant à protéger le groupe EDF d’un démembrement, déposée par les députés socialistes le 27 décembre 2022, a été adoptée de façon définitive hier au Sénat, en troisième lecture, dans une version finalement assez différente du texte d’origine.
Empêcher un « découpage »
L’intention des députés socialistes était de s’opposer à tout projet gouvernemental visant à découper le groupe EDF en plusieurs entreprises distinctes, afin de vendre au privé les plus rentables et de conserver dans le giron de l’État les plus coûteuses.
Rappelons qu’en 2022, l’État possédait 84 % du groupe EDF. Cette année-là, le gouvernement avait lancé une offre publique d’achat (OPA) dans le but de racheter des actions détenues par d’autres actionnaires et ainsi monter au capital du groupe, de façon à le contrôler davantage, au motif que « l’urgence climatique et la situation géopolitique imposent des décisions fortes pour assurer l’indépendance et la souveraineté énergétique de la France, dont celle de pouvoir planifier et investir sur le très long terme les moyens de production, de transport et de distribution d’électricité » . Cette OPA s’est traduite par la prise de contrôle totale de l’État sur EDF, qui possède aujourd’hui 100 % des actions du groupe.
Mais selon les députés socialistes – et plusieurs syndicats du groupe – cette opération camouflait une autre intention, moins louable : celle d’avoir les mains libres pour procéder « au démantèlement (du groupe) et à la privatisation de ses activités les plus rentables, à savoir le secteur des énergies renouvelables, tandis que les investissements dans le nucléaire continueraient d’être financés par l’argent public » . Ce qui reviendrait à « socialiser les pertes et privatiser les profits du service public de l’énergie » .
D’où la proposition de loi déposée en décembre 2022, qui proposait, à l’article 1, la nationalisation d’EDF et, surtout, à l’article 2, disposait que « EDF est un groupe public unifié » et en listait les activités : entre autres, « production, transport, distribution d’électricité », « développement, construction, exploitation et maintenance des sources d’énergie hydraulique, nucléaire, renouvelable et thermique » . L’article 2 enfonçait le clou en précisant que le capital d’EDF est « détenu intégralement par l’État et incessible ».
L’objectif de ce texte était claire : inscrire dans la loi le caractère « incessible » du capital d’EDF n’empêche certes pas le démembrement du groupe, mais il oblige en revanche à modifier la loi pour le faire, c’est-à-dire passer devant le Parlement.
Pas de nationalisation
Tout au long de la navette parlementaire, ce texte a subi de nombreuses modifications, le Sénat estimant, en particulier, que le fait que l’État ait repris aujourd’hui 100 % des actions du groupe EDF rend « inutile » de demander sa nationalisation (même s’il faut rappeler qu’en réalité, un groupe privé dont l’État détient toutes les actions et un groupe public sont deux choses bien différentes).
Au final, dans le texte définitivement adopté, la mention de « nationalisation » a disparu. La définition du groupe EDF (article L111-67 du Code de l’énergie) a néanmoins été révisée : de « société anonyme » , elle passe à « société anonyme d’intérêt national » . Et surtout, alors qu’auparavant la loi n’imposait qu’une participation de 70 % de l’État au groupe, ce chiffre passe désormais à 100 %.
Les mentions du caractère « incessible » du capital d’EDF ont disparu. Le Sénat a ainsi estimé, par exemple, qu’il est « absolument vital pour EDF de pouvoir céder certaines de ses filiales, réaliser des montages capitalistiques pour accompagner la mise en œuvre de projets d’infrastructures, ou encore retrouver des marges de manœuvre financières pour garantir le financement d’une électricité bon marché et décarbonée dans une économie ouverte et compétitive » .
Tarif réglementé et petites communes
La navette parlementaire a été l’occasion d’ajouter un article qui, lui, concerne directement les communes. Il concerne le tarif réglementé de l’électricité et a lui aussi connu de nombreuses modifications avant d’être finalement adopté.
Plus que les communes, c’est la situation des petites entreprises et singulièrement des boulangers qui a motivé l’introduction, dès la première lecture à l’Assemblée nationale, d’un nouvel article étendant le bénéfice des tarifs réglementés de l’électricité.
Que dit le Code de l’énergie aujourd’hui ? L’article L337-7 dispose que les tarifs réglementés s’appliquent aux « consommateurs finals non domestiques qui emploient moins de 10 personnes et dont le chiffre d’affaires, les recettes ou le total de bilan annuels n’excèdent pas 2 millions d’euros » . Avec une condition très restrictive : ces clients doivent souscrire un contrat pour une puissance « inférieure ou égale à 36 kilovoltampères » . Ces dispositions concernent les petites entreprises et les petites communes.
Or un grand nombre de petits commerçants, notamment ceux qui ont des chambres froides (boucheries, charcuteries) ou des fours (boulangeries), sont obligés de souscrire à une puissance supérieure à ce chiffre, et se voient donc exclus du tarif réglementé. C’est pour régler cette question qu’un amendement a été introduit afin de faire sauter la limite des 36 kVa, ce qui permet aux petites entreprises et petites communes de bénéficier des tarifs réglementés quelle que soit la puissance souscrite.
À un moment du débat parlementaire (deuxième lecture à l’Assemblée nationale, en mai dernier), une version beaucoup plus favorable de ce dispositif a même été adoptée, se rapprochant de la demande de l’AMF de voir le tarif réglementé appliqué à toutes les communes : un amendement a étendu celui-ci « aux collectivités et aux établissements publics de coopération intercommunale de moins de 50 000 habitants » – soit 99,6 % des communes (34 810 sur 34 935). Les auteurs (LR) de cet amendement ont à juste titre constaté que l’augmentation des tarifs de l’énergie de 2022-2023 a « fortement grevé » le budget des communes et EPCI ne bénéficiant pas des tarifs réglementés. « Afin de pouvoir permettre aux collectivités de moins de 50 000 habitants de continuer à faire fonctionner leurs services publics essentiels, sans répercuter la hausse des coûts de l’énergie auprès des usagers et des contribuables locaux », ces députés ont fait adopter l’amendement étendant les TRV aux communes et EPCI de moins de 50 000 habitants.
Pas pour longtemps : dès son arrivée au Sénat, cette disposition a été retoquée par la commission des finances, au motif qu’une telle extension des TRV « contreviendrait aux dispositions de la directive du 5 juin 2019 concernant les règles communes pour le marché intérieur de l’électricité ».
Retour à la case départ, donc. Jusqu’à au texte final, cet article n’a ensuite plus bougé. La chose est donc acquise, maintenant que le texte est adopté : à partir du 1er février 2025, les petits commerçants et les petites communes (moins de 10 agents et moins de 2 millions d’euros de recettes de fonctionnement) bénéficieront, à leur demande, des tarifs réglementés, et ce quelle que soit la puissance de leur compteur.
Reste à savoir à combien de communes ces dispositions vont bénéficier. Sur ce point, on ne peut pas vraiment compter sur le sens de la précision du gouvernement, qui a l’air d’être quelque peu dans le flou sur ce sujet : le 29 février, lors de l’adoption du texte en 3e lecture par l’Assemblée nationale, le ministre chargé de l’Industrie et de l’Énergie, Roland Lescure, déclarait à la tribune que la disposition allait concerner « 10 000 communes et 1 million de TPE » . Hier, devant le Sénat, pour la même mesure du même texte, il chiffrait cette fois le nombre de communes concernées à « 25 000 » (et 3,7 millions les TPE).
L’AMF, qui se disait déjà « circonspecte » sur le chiffre de 10 000 communes, risque de l’être encore plus sur celui de 25 000. D’ici à l’entrée en vigueur de ces dispositions, le 1er février prochain, il reste à espérer que des statistiques sérieuses seront produites.
SOURCE : MAIREinfo – Édition du jeudi 4 avril 2024