La maire EELV de Poitiers, Léonore Moncond’huy, a soulevé ces derniers jours un problème qui concerne potentiellement de nombreuses élues : comment organiser, dans le cadre de son mandat, les deux mois de congé maternité auxquels la loi lui donne droit ? Que se passe-t-il sur le plan des indemnités ? Comment assurer l’intérim au sein du conseil municipal ? Devant les difficultés rencontrées, la maire a saisi non seulement le président de l’AMF, David Lisnard, mais également la ministre chargée des Collectivités territoriales, Dominique Faure.
La question des indemnités
L’élue s’est aperçue que pendant son congé maternité, elle va perdre une part notable de ses revenus, puisqu’elle ne percevra plus son indemnité de fonction – mais seulement les indemnités journalières de l’Assurance maladie. Sans en faire « une question d’argent » mais plutôt « une question de principe », a-t-elle expliqué dans la presse, la maire de Poitiers estime que les maires « doivent être traités comme tout le monde », dans la mesure où les salariés, eux, voient leur revenu maintenu pendant un congé maternité.
Deux éléments sont ici à prendre en compte. D’une part, la situation est différente pour les congés maternité et pour les arrêts maladie. Pour les arrêts maladie, il est possible à un élu de poursuivre l’exercice de son mandat pendant l’arrêt, à condition d’y avoir été expressément et par écrit autorisé par son médecin. Faute de cette autorisation, l’élu s’expose au risque de devoir rembourser les indemnités journalières de l’Assurance maladie. Mais pour les congés maternité, cette disposition n’existe pas : les assurées doivent impérativement cesser toute fonction pendant leur arrêt. Il n’est donc pas possible, pendant un congé maternité, de participer par exemple à des réunions du conseil municipal, sauf à perdre les indemnités journalières.
Mais il n’est pas non plus possible de toucher des indemnités de fonction puisque, comme l’a établi la jurisprudence, une indemnité de fonction ne peut être perçue que si l’élu a assuré « l’exercice effectif » de ses fonctions.
Cette disposition connaît toutefois une exception : si un élu « ne remplit pas les conditions pour bénéficier d’une indemnisation auprès du régime de sécurité sociale dont relève son activité », ses indemnités de fonction sont maintenues en totalité. Si ses indemnités journalières sont inférieures à ses indemnités de fonction, la collectivité lui verse la différence. Mais attention, cette disposition ne s’applique qu’aux élus qui exercent une activité professionnelle. Les élus « à temps plein » – ce qui est le cas de la maire de Poitiers – n’y ont pas droit.
Il n’y a donc, en l’état actuel du droit, pas d’autre solution que de percevoir les seules « IJ » (indemnités journalières) de l’Assurance maladie, calculées sur la base des indemnités de fonction. Et attention, il n’est pas non plus possible de renoncer à son congé maternité : celui-ci n’est pas une libre faculté mais bien une interdiction d’exercer le mandat, de 8 semaines minimum.
Face à cette situation, l’AMF indique qu’elle souhaite porter une disposition permettant de régler cette difficulté, dans le cadre de l’examen des diverses propositions de loi sur le statut de l’élu. Elle proposer également, pour harmoniser le droit en la matière sur celui des arrêts maladie, en permettant aux élus en congé maternité et paternité, sur autorisation médicale, de pouvoir continuer à exercer une partie de leur mandat.
La délégation
Le deuxième problème concerne le remplacement de la maire pendant son congé. Le Code général des collectivités locales dispose qu’en cas d’empêchement, le maire « est provisoirement remplacé, dans la plénitude de ses fonctions, par un adjoint, dans l’ordre des nominations ». Mais, indique la maire de Poitiers dans un courrier qu’elle a adressé au président de l’AMF, « j’ai pu constater que l’employeur de l’adjoint assurant le remplacement n’est nullement obligé de prendre en compte la nécessité pour ce dernier de suspendre son emploi pour exercer pleinement la fonction de maire, de façon provisoire ». Elle a donc dû trouver une solution de remplacement, en « distribuant » les responsabilités à plusieurs adjoints, « sur la base du bon vouloir de leur employeur et de leur volontariat ».
Mais les choses ne sont pas simples en la matière : l’AMF rappelle en effet que la « double suppléance » est interdite, ce qui signifie qu’un adjoint à qui a été délégué des pouvoirs ne peut à son tour les déléguer à un autre élu. En revanche, il est possible pour le maire de déléguer certains de ses pouvoirs à plusieurs adjoints. Mais attention, pas de façon générale : dans ce cas, chaque délégation accordée doit porter sur une compétence précise. Si un maire est totalement empêché d’exercer son mandat (ce qui est le cas pour les congés maternité), il peut donc déléguer une partie de ses compétences à plusieurs adjoints différents.
Pour simplifier les choses, la maire de Poitiers souhaite donc que le gouvernement ou le législateur réfléchisse à une évolution de la loi qui rendrait « obligatoire pour un employeur » de décharger professionnellement un adjoint amené à prendre provisoirement la place d’une maire en congé maternité.
Interrogé sur ce sujet avant-hier, sur BFMTV, le président de l’AMF, David Lisnard, a jugé la situation de la maire de Poitiers, sur la question des indemnités, « scandaleuse ». Il faut « qu’une femme maire, quand elle est enceinte, garde son indemnité d’élue, d’autant plus qu’elle garde la responsabilité pénale et la responsabilité civile de son mandat », a jugé le maire de Cannes.
L’alerte portée par Léonore Moncond’huy semble avoir porté ses fruits. Le député Renaissance Sacha Houlié, président de la commission des lois à l’Assemblée nationale, s’est engagé hier à déposer un amendement pour « corriger cette inégalité » dans le prochain texte qui sera débattu à l’Assemblée nationale sur le statut de l’élu. Cet amendement, a expliqué le député de la Vienne, « aura pour objectif de garantir le maintien d’une indemnité compensatoire afin d’assurer l’équité pour toutes les élues, évitant ainsi toute forme de discrimination pendant une période aussi importante que le congé maternité, avec la possibilité d’y intégrer les congés paternité des élus masculins ».
L’AMF indique qu’elle fera également des propositions pour faciliter le remplacement du maire empêché, et portera des dispositions sur les congés d’adoption.
SOURCE : MAIREinfo – Édition du jeudi 22 février 2024