« Épuisée à la tâche ». C’est une « fatigue profonde » qui a poussé la maire d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), Karine Franclet, à annoncer vendredi dernier vouloir se mettre en retrait de son mandat de maire. « J’ai voulu être à 200 %. Quand vous devenez maire, vous devez maîtriser tout un tas de sujets. Moi, je ne peux pas défendre un dossier sans le maîtriser complètement » , a-t-elle détaillé dans les colonnes du Figaro, ajoutant qu’elle souhaite « briser le tabou » autour du sujet de la santé mentale des élus.
Loin d’être un cas isolé, le phénomène s’accentue ces derniers mois. En décembre dernier, la maire de Périgueux (Dordogne), Delphine Labails – co-présidente de la commission éducation de l’AMF – annonçait aussi sa mise en retrait temporaire de ses fonctions de maire. Dans un communiqué, elle mettait en cause « les effets d’un épuisement professionnel conséquent, qui met en danger à la fois sa santé et son équilibre familial ».
Dans les plus petites communes, l’épuisement des maires est aussi préjudiciable. En fin d’année 2024, le maire de Plussulien (Côtes-d’Armor), commune de 500 habitants, a aussi jeté l’éponge. « Je m’endors en pensant ‘’commune’’, je me réveille en pensant ‘’commune’’ », raconte-t-il à la presse locale. « Je crois que c’est la première fois que je suis égoïste par rapport à la commune. Et ça m’embête. Mais on n’est plus écouté, ils n’entendent personne… Il n’y a pas que moi : on ne respecte personne. Je me suis battu, de toutes mes forces. Je n’ai rencontré que mépris et suffisance auprès d’élus dont le rôle est l’écoute et l’aide. C’est peu dire que je suis déçu ».
Ce phénomène de grande ampleur a à de nombreuses reprises été pointé du doigt par l’AMF.
À l’occasion d’une question écrite au gouvernement, la députée des Pyrénées-Orientales Sophie Blanc s’est également inquiétée de « l’épuisement physique et moral des élus locaux » qui « atteint des proportions inquiétantes, menaçant leur engagement et, à travers eux, l’équilibre des territoires. »
Exigences, violences et surcharges : un contexte lourd pour les maires
« Les maires estiment, de manière massive (83 %), que leur mandat est usant pour la santé », selon une enquête pilotée par deux sociologues du Centre de sociologie des organisations (Sciences Po et CNRS), avec le soutien de l’AMF, publiée le 15 novembre. Troubles du sommeil, coups de fatigue ou moments de lassitude : ces troubles sont vécus par un quart à un tiers des maires, particulièrement dans les petites communes.
La députée des Pyrénées-Orientales souligne que « dans les petites communes rurales, la situation est souvent exacerbée par un manque criant de ressources, forçant les maires à assumer eux-mêmes de nombreuses responsabilités. Dans des villages comme Le Ferré en Ille-et-Vilaine, par exemple, le maire gère seul des tâches administratives essentielles en l’absence de personnel suffisant ».
À l’exigence de la tâche s’ajoute la montée des actes d’incivilités commis à l’encontre des maires. En 2023, 2 387 agressions verbales ou physiques à l’encontre d’élus locaux ont été recensées par le ministère de l’Intérieur. On se souvient particulièrement de l’attaque du domicile du maire d’Haÿ-les-Roses, Vincent Jeanbrun, durant les émeutes de juillet 2023. Mais combien d’autres agressions ne font pas la une des médias ?
Le poids des normes n’arrange rien. L’AMF dénonce depuis plusieurs années la complexité des démarches administratives que doivent gérer les maires. La députée prend l’exemple de la commune de Saint-Palais-sur-Mer (Charente-Maritime) qui compte plus de 3 800 habitants : « Le maire évoque une ‘’bataille quotidienne’’ pour obtenir des subventions ou boucler des dossiers », rapporte la députée qui souligne que les élus ruraux doivent particulièrement faire face au « désengagement de l’État dans des secteurs cruciaux comme la santé et les transports ». Par exemple, l’absence de médecins dans certaines zones rurales pousse de nombreux maires à « organiser eux-mêmes des permanences médicales ou à négocier avec des professionnels de santé. »
Plan national de prévention et de lutte contre les atteintes aux élus
L’AMF a alerté l’État à plusieurs reprises sur le sujet. Une réponse à la députée Sophie Blanc a été apportée hier par le gouvernement sur les moyens mis à disposition des élus pour trouver un soutien – sans contenir aucune annonce nouvelle.
Il rappelle qu’un centre d’analyse et de lutte contre les atteintes aux élus (CALAÉ) a été créé le 17 mai 2023 et « a vocation à collecter et analyser les menaces et violences faites aux élus, ceci afin d’adapter le dispositif de réponse en temps réel et mieux comprendre le phénomène » . La publication d’un rapport est attendue.
Ce centre est aussi chargé du déploiement du plan national de prévention et de lutte contre les atteintes aux élus. « Doté d’un budget de 5 millions d’euros et composé de 12 mesures, ce plan cherche à agir sur 4 axes : mieux accompagner les élus, mieux les protéger, mieux sanctionner les agresseurs et mieux communiquer entre les élus et la justice », résume le gouvernement dans sa réponse. Un numéro d’accompagnement psychologique a aussi été développé (01 80 52 33 84) et d’« autres mesures du plan ont déjà trouvé une traduction législative ».
Le gouvernement évoque notamment la compensation forfaitaire versée par l’État pour le financement des contrats d’assurance couvrant la protection fonctionnelle des élus, initialement destinée aux communes de moins de 3 500 habitants et qui a été étendue aux communes de moins de 10 000 habitants dans le cadre de la loi de finances pour 2024. La loi du 21 mars 2024 renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux a aussi « consolidé l’arsenal répressif en cas de violences commises à l’encontre d’élus locaux » . Des mesures spécifiques d’accompagnement aux élus victimes ont aussi été mises en place à travers par exemple la facilitation du dépôt de plainte, information immédiate des autorités judiciaires, ou encore création d’un réseau de plus de 3 000 référents.
Mais l’aspect sécuritaire – certes très important – semble l’emporter sur la question du poids des normes qui pèse de plus en plus lourds sur les épaules des maires. Le gouvernement, dans sa réponse à la députée, n’a en effet pas évoqué cet aspect. Pourtant, 64,8 % des maires « déclarent vivre des situations où il leur faut souvent penser à trop de choses à la fois et 40,1% où ils sont souvent sous pression » , selon l’étude menée par l’AMF. Le sujet de la simplification, souvent abordé sur les bancs du Sénat, semble s’être quelque peu égaré sous l’effet des turbulences politiques de ces derniers mois. Un projet de loi de simplification de la vie économique bénéficiant d’une procédure accélérée avait pourtant été adopté en première lecture au Sénat en octobre dernier. Depuis, plus de nouvelles.
Une proposition de loi sur le statut de l’élu attendue
A contrario, le gouvernement a récemment communiqué à propos d’un autre texte législatif important pour les élus locaux : la proposition de loi sur le statut de l’élu, déposée par Françoise Gatel et adoptée en mars 2024 par le Sénat, sera discutée à l’Assemblée nationale au mois de mai, puis en juin au Sénat. « Le gouvernement soutient l’adoption de ce texte qui vise à améliorer, par des mesures concrètes, les conditions d’exercice des mandats locaux et assurer une meilleure conciliation de ces mandats avec la vie professionnelle et personnelle des élus » , peut-on lire dans la réponse à la députée. Le texte pourrait donc être adopté avant les élections municipales de 2026.
Parmi les mesures fortes de ce texte : l’augmentation du barème applicable aux indemnités des maires, la modification du mode de calcul de l’enveloppe indemnitaire globale pour mieux indemniser les conseillers municipaux, le remboursement par la collectivité des frais de transport des élus… Maire info rendra compte, au plus près, de l’examen de cette proposition de loi.
SOURCE : MAIREinfo – Édition du mardi 25 février 2025