La délégation aux collectivités territoriales rend ce jeudi un rapport d’information sur « l’ancrage territorial de la sécurité intérieure ». Ses rapporteurs, Rémy Pointereau et Corinne Féret dressent une dizaine de recommandations alors que s’est ouvert lundi le « Beauvau de la sécurité ».
Replacer le maire au centre du village… de la sécurité intérieure. C’est peu ou prou ce qu’entend rappeler la délégation aux collectivités territoriales du Sénat avec son rapport sur « l’ancrage territorial de la sécurité intérieure ». Dévoilé ce jeudi par les rapporteurs Rémy Pointereau (Les Républicains) et Corinne Féret (Socialiste, Écologiste et Républicain), il propose la construction d’une politique de sécurité « qui doit partir des territoires », avec en tête de pont les élus locaux comme « premiers maillons de la chaîne du continuum de sécurité » pour garantir « efficacité et performance » et une « relation de confiance » entre la population et les forces de l’ordre. Fruit d’auditions menées en décembre 2020 et d’une collaboration avec la commission des lois, ce rapport formule dix recommandations. « L’objectif est que les maires soient mieux informés par les forces de l’ordre et le parquet de ce qu’il se passe dans leurs communes », explique Rémy Pointereau. Il explique également plus en détail son projet d’école de formation de la police municipale « sur différents points du territoire ». Le sénateur du Cher espère désormais que ses recommandations soient entendues lors du Beauvau de la sécurité.
En voici les principales recommandations, alors qu’en effet s’est ouvert lundi et pour une durée de quatre mois le « Beauvau de la sécurité », qui doit permettre « d’aboutir à sept ou huit propositions très fortes » pour la police et la gendarmerie.
« Vigilance » sur les nouvelles compétences judiciaires de la police municipale
À l’heure actuelle, les maires sont libres de créer ou non une police municipale et d’en définir la taille, l’équipement et la doctrine d’emploi. Les sénateurs recommandent de conserver cette liberté de choix. Le rapport note à ce propos que « depuis dix ans, à la suite des attentats, l’armement létal s’est banalisé : en 2019, plus de la moitié des policiers municipaux sont dotés d’une arme à feu », soit un peu plus de la moitié des 21 500 policiers municipaux.
Surtout, les rapporteurs ont examiné l’article 1er de la loi « sécurité globale » qui propose à certaines communes des expérimentations permettant à leur police municipale d’exercer des compétences de police judiciaire comme la verbalisation des conducteurs sans permis, la verbalisation de la vente à la sauvette etc. Si le rapport salue la démarche et propose d’axer cette extension sur la lutte contre la vente de stupéfiants, il exprime aussi certaines réserves : un risque juridique d’abord, puisque les policiers municipaux sont sous l’autorité du maire et non du procureur de la République, et un risque de « substitution » entre les forces étatiques et la police municipale qui risquerait d’être perçue par les élus locaux comme une « forme de désengagement » de l’Etat. « La police municipale doit demeurer une police de la tranquillité publique et une police de proximité », soulignent les rapporteurs.
Ils souhaitent donc une évaluation « rigoureuse et exigeante » par la délégation de l’expérimentation conduite, afin de répondre à une question qui reste en suspens : « La création des polices municipales a-t-elle conduit à une baisse de la délinquance dans les communes concernées ? »
Créer une école nationale des polices municipales
Le rapport dresse un constat peu reluisant de la formation des policiers municipaux : s’ils observent certains progrès, les rapporteurs relèvent que les formations des polices municipales sont « très hétérogènes », et que ce déficit peut parfois conduire à « des annulations de procédure voire à l’engagement de la responsabilité de l’État ».
Ils proposent donc la création « d’une école nationale des polices municipales », à l’image de ce qu’avait proposé la commission d’enquête de l’Assemblée nationale : « La création d’une école nationale des polices municipales permettrait […] d’aller plus loin dans l’homogénéisation des formations […]. Elle contribuerait également à l’acculturation commune avec les forces de sécurité de l’État en favorisant les échanges. »
Renforcer le contrôle des policiers municipaux
D’après les rapporteurs, qui ont saisi le Défenseur des droits, les polices municipales représentent 5 à 7 % des saisines en matière de manquements à la déontologie des forces de sécurité, majoritairement pour des cas de violences, quand la police nationale totalise à elle seule 55 % des saisines.
Si ces manquements demeurent « limités », les sénateurs craignent qu’ils augmentent avec l’extension des compétences des policiers municipaux. D’autant qu’ils notent certaines « insuffisances » dans le dispositif de contrôle. « Toute la responsabilité du contrôle repose in fine sur le pouvoir hiérarchique exercé par les maires, ce qui peut paraître insuffisant au regard de l’extension du champ d’intervention des polices municipales ainsi que la banalisation de leur armement », relèvent les rapporteurs qui estiment « intéressante » l’idée, proposée par les députés Jean-Michel Fauvergue (LREM) et Alice Thourot (LREM), de créer, au sein de l’inspection générale de l’administration (IGA), « une mission permanente ».
Associer les élus locaux à la nouvelle répartition territoriale Police/Gendarmerie
Le maillage territorial des forces de l’ordre se décompose actuellement ainsi : la compétence de la police nationale s’exerce dans les communes chefs-lieux de département et dans les communes ou les ensembles de communes dont la population est supérieure à 20 000 habitants. Les autres communes se trouvent donc en « zone gendarmerie ». Mais selon les rapporteurs et les éléments qui ressortent des auditions du directeur général de la police nationale (DGPN) et de celui de la gendarmerie (DGGN), cette répartition a perdu « de sa pertinence ». Pour y remédier, le Livre blanc sur la Sécurité proposait la répartition suivante : qu’en dessous de 30 000 habitants, le territoire soit de la compétence de la gendarmerie ; qu’entre 30 000 et 40 000 habitants, ce soit la force la mieux adaptée aux caractéristiques du territoire, qui soit compétente ; qu’au-dessus de 40 000 habitants, la compétence revienne à la police nationale.
Les rapporteurs ne sont pas « convaincus » par cette clé de répartition arithmétique qu’ils jugent « peu rationnelle ». « L’État doit se garder de rechercher un « grand soir » ou un « big bang », qui seraient source de tensions au plan local », préviennent les sénateurs qui préfèrent raisonner sur « une aire plus large que le cadre communal et dépasser le seul critère démographique, en tenant compte « des bassins de vie et de délinquance ». Ils jugent surtout « indispensable » de mener cette réforme « en étroite concertation, en amont et en aval, avec les associations d’élus locaux afin de réaliser un délicat « travail de dentelle », sous la houlette des préfets.
Réformer l’organisation de la police nationale
L’organisation territoriale actuelle de la police nationale « nuit à son efficience » et ne favorise pas les « contacts avec les élus locaux », ont constaté les rapporteurs. Le ministère de l’Intérieur a donc engagé une réflexion et expérimente dans trois collectivités ultramarines, à savoir Mayotte, la Guyane et la Nouvelle-Calédonie, une direction territoriale de la police nationale (DTPN), qui s’est substituée aux différentes directions. Jugée positive, il poursuit et a lancé depuis le 1er janvier 2021 la même expérimentation en métropole dans trois départements (Pas-de-Calais, Savoie et Pyrénées-Orientales). « La réorganisation conduite par le ministère va-t-elle faciliter les échanges avec les élus locaux en créant un interlocuteur unique disposant d’une vision « décloisonnée » sur les enjeux de sécurité locale ? », interrogent les sénateurs. La réponse du DGPN ne les a pas vraiment rassurés. Ils proposent donc la désignation au sein de cette direction unifiée d’un correspondant chargé de faire le lien avec les élus locaux.
Développer les échanges d’informations entre élus et acteurs de la sécurité
Si la communication systématique des fiches S aux maires ne paraît pas « opportune » aux rapporteurs – mis à part pour les profils des personnes dont les maires ont la responsabilité directe ou indirecte -, ils encouragent « le renforcement des liens » entre les élus et le service central du renseignement territorial (SCRT). Ils préconisent ainsi l’organisation de « réunions fréquentes » avec les élus locaux, leurs associations ainsi que les parlementaires. « Il semble qu’à l’heure actuelle, dans certains départements, le renseignement territorial prenne très rarement l’attache des élus », regrettent-ils. Plus généralement « les forces de sécurité, qu’elles soient étatiques ou municipales, doivent, d’une manière générale, être mieux formées à la communication et à l’échange ».
Ils saluent pourtant le rôle des conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD) dont la création est obligatoire dans les communes de plus de 10 000 habitants. Mais « d’aucuns ont souligné, lors des auditions, qu’ils n’étaient pas toujours actifs, opérationnels et efficaces, faute d’une impulsion par le maire qui en assure la présidence ». Pour en améliorer l’efficacité, ils recommandent entre autres au ministère de l’Intérieur de fournir à ces instances des données mensuelles territorialisées de la délinquance (par région, par département et par commune) sur le modèle de ce qui existe au Royaume-Uni. Ils estiment par ailleurs que le fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) pourrait être « davantage mobilisé », notamment pour le financement des postes de coordonnateurs CLSPD, dans la mesure où leur absence entraîne bien souvent l’inactivité des CLSPD.
Ils escomptent également « un plus grand investissement » des magistrats du parquet dans le dialogue institutionnel avec les élus locaux et citent en exemple, le parquet de Valenciennes qui a mis en place une matinée de formation pour les élus et une boîte courriel dédiée aux échanges d’informations.
Une faible mutualisation des polices municipales entre communes
Les sénateurs ont constaté qu’une faible proportion de communes mutualise leurs forces de polices municipales alors qu’elle est rendue possible par le législateur dans certaines conditions (un seuil de 80 000 habitants). Ainsi, selon la Cour des comptes, seule une quarantaine de dispositifs de mutualisation existait en 2018. « Les maires sont réticents à mutualiser cet attribut essentiel de leur autorité, quand bien même cette mise en commun des agents de police municipale préserverait pleinement le pouvoir de police de chaque maire », relèvent-ils. Ils estiment donc que ces dispositifs « méritent une évaluation approfondie et une présentation claire et pédagogique » auprès des élus pour « dissiper tout malentendu ». En sus, les rapporteurs sont favorables à la suppression, proposée par l’Assemblée nationale, du seuil de 80 000 habitants au – delà duquel des communes formant un seul tenant, ne peuvent pas mettre en commun des agents de police municipale.
Encourager les citoyens à prendre part à la sécurité
Aujourd’hui, plusieurs dispositifs permettent aux citoyens de prendre une responsabilité dans la production de la sécurité. C’est le cas entre autres de « Voisins vigilants » ou « Surveillance de quartier », particulièrement efficaces à en croire les chiffres du ministère de l’Intérieur rapportés par les sénateurs : « Certaines communes de la Drôme ont enregistré une baisse de 20 % à 40 % des cambriolages constatés » et, dans l’Essonne comme dans les Alpes-Maritimes, « ce dispositif novateur a conduit localement à une hausse des interpellations en flagrant délit ».
Les deux rapporteurs se félicitent donc du développement de tels dispositifs et insistent sur le développement de la réserve de la police, également accessible aux citoyens, plus faiblement pourvue que celle de la gendarmerie. « À la différence de la gendarmerie qui dispose d’un potentiel de 30 000 gendarmes dans la réserve civile, nous avons simplement 6 000 réservistes dans la police, qui sont souvent d’anciens policiers ou d’anciens adjoints de sécurité, mais peu de personnes issues de la société civile », avait expliqué le DGPN aux sénateurs lors de son audition. Seul bémol au développement des réservistes : les rapporteurs s’interrogent sur l’opportunité de leur permettre de détenir leurs armes à domicile. « Cet armement ne conduirait-il pas également à mettre en danger les réservistes alors qu’actuellement ils ne sont identifiés comme tels, ni au travers de leurs armes, ni de leur tenue ? Cette visibilité nouvelle ne les exposerait-elle pas trop ? », s’inquiètent-ils.
SOURCE : Publicsénat.fr