Manque de confiance, cadre trop strict ou encore problèmes relationnels avec les services de l’Etat : les associations d’élus auditionnées ce 6 mai par la mission d’information du Sénat sur la crise sanitaire ont évoqué de manière très cash les difficultés qu’elles ont rencontrées.
Les sénateurs ont de la suite de la suite dans les idées. En revenant sur la dimension territoriale de la lutte contre la pandémie en France, telle qu’elle a été vécue par les acteurs locaux, la mission d’information du Sénat, sur les effets des restrictions sanitaires, prépare déjà le grand chantier de l’été. Comment répondre aux aspirations des collectivités locales dans le projet de loi 4D (différenciation, décentralisation, déconcentration et décomplexification), dont ils débattront en juillet ? Plusieurs représentants d’associations d’élus étaient réunis ce 6 mai au Sénat. Le constat d’une « vision très centralisée » a fait l’unanimité chez ces responsables politiques, déçus d’un manque d’écoute ou de souplesse.
« Le gouvernement, depuis le début, a préféré l’esprit de système à l’esprit de finesse », s’est plaint André Laignel (PS), le président délégué de l’Association des maires de France (AMF), pour qui la décentralisation a été « entravée ». Le maire bouillonnant d’Issoudun en veut encore pour preuve le « contresens » sur la réouverture sans aucune distinction dans la culture, petits musées locaux comme les grands établissements étant soumis au même agenda. « Il faut faire confiance aux élus locaux », a-t-il martelé. « Les maires sont suspects de défendre des intérêts locaux » : Yannick Moreau, le maire des Sables d’Olonne, et président délégué de l’Association nationale des élus du littoral, regrette tout autant ce manque de confiance.
« Il est absurde de mettre tout le monde au même régime »
Nadine Kersaudy, secrétaire générale adjointe de l’association des maires ruraux de France, a aussi évoqué le problème de la limite des 10 kilomètres en bord de mer, ce qui réduit le champ des possibilités. La règle est « un peu réduite », selon cette maire d’une petite commune littorale du Finistère. Yannick Moreau veut pouvoir décliner localement un cadre national, afin de l’ajuster aux différentes réalités. « Une règle générale serait complètement inopérante ou incompréhensible », a-t-il justifié. La pluralité de situation en France le laisse à penser que la logique finira par s’inverser. « L’Etat est condamné à faire confiance aux maires. »
Une autre catégorie d’élus a aussi extrêmement mal vécu les directives nationales informes : les maires des régions montagneuses. Pierre Bretel, de l’Association nationale des élus de la montagne, s’est montré taquin. La différenciation territoriale a bien eu lieu, mais « pas dans le bon sens », s’est-il étonné, comparant le haut niveau de service des transports en Île-de-France et la fermeture des remontées mécaniques dans les stations de montagne en extérieur. Les longs moments de concertation auxquels il a participé ne laissaient pas présager selon lui une décision aussi brutale et tranchée. « C’est une sorte de tête à queue que l’on a vécue », a-t-il relaté.
Ces édiles remontés par les excès du centralisme n’ont pas eu de difficultés à convaincre les rapporteurs de la mission sénatoriale. « On se rend compte que les différenciations territoriales sont à tous les niveaux et que les décisions prises de manière uniforme au niveau national ne correspondent pas à la vie des régions, des départements. Il est absurde de mettre tout le monde au même régime », a résumé le sénateur LR Roger Karoutchi.
Des demandes pressantes sur les compétences, notamment en matière de santé
Une voix dissonante s’est toutefois fait entendre dans l’audition : celle du géographe Aurélien Delpirou, maître de conférences à l’École d’Urbanisme de Paris. « L’illusion du précarré à la française où chaque collectivité pense pouvoir faire mieux que l’autre dès lors qu’on lui donnerait plus de compétences, de moyens, a été, à mon avis, très largement remis en question », s’est-il opposé. Selon cet universitaire, la solution ne passera pas par de nouvelles attributions de compétences mais par des « coopérations » et « l’organisation de chaînes de décision ». « Quand il y a trop de mains tendues, on est dans l’illisibilité totale », a-t-il mis en garde, prenant l’exemple des départements qui ont pu intervenir en faveur du développement économique dans le cadre de la crise, alors qu’il s’agit essentiellement d’une compétence régionale.
Dans cette crise épidémique, les élus demandent davantage de compétences sur la santé. André Laignel réclame une modification de la gouvernance des agences régionales de santé et des centres hospitaliers, avec plus de pouvoir pour les maires. Pierre Monzani, directeur général des services de l’Assemblée des départements de France, a eu une désagréable surprise en étudiant l’avant-projet de loi 4D. Les départements ne récupéreront pas la médecine scolaire, contrairement à la promesse que leur avait faite le gouvernement. « L’écart entre la loi et notre programme, c’est la montagne et la souris, on ne retrouve pas nos propositions », a-t-il dénoncé.
De meilleurs liens avec l’Etat sont aussi demandés. Cette longue année de crise sanitaire a été marquée par l’émergence du couple « maire-préfet ». Sur ce point, Nadine Kersaudy, de l’AMRF, s’est montrée prudente sur le bon fonctionnement de ce binôme : tous les départements n’ont pas été logés à la même enseigne. « L’institutionnaliser dans le marbre ? Je ne suis sûre », s’est-elle exprimée.
« Je me suis beaucoup engueulé avec le cabinet du ministère de la Santé »
Pour Pierre Monzani (ADF) qui fait état d’un « assez lourd dysfonctionnement », identifie la racine de nombre de problèmes à une « erreur d’aiguillage ». Le ministère de l’Intérieur aurait dû gérer la gestion de la crise, plutôt que le ministère de la Santé, qui « n’a pas cette culture du dialogue avec les élus ». « Je me suis beaucoup engueulé avec le cabinet du ministère de la Santé », a raconté avec franc-parler ce préfet, déçu par les positions « très souvent rigides » des ARS. Les longues semaines de « combat » pour inclure les laboratoires départementaux d’analyses dans la politique nationale de tests covid-19 n’ont pas été oubliées.
Cette « standardisation des mesures », cette « obsession de l’uniformité » s’expliquerait selon le chercheur Aurélien Delpirou par la « faible culture territoriale des fonctionnaires d’Etat ». Nul doute que les élus locaux réunis au Sénat observeront à la loupe le projet de loi, qui doit être présenté le 12 mai Conseil des ministres. La veille, la délégation aux collectivités territoriales du Sénat prendra la parole au cours d’une conférence de presse. Une façon de réaffirmer que la Haute assemblée s’est toujours montrée proactive sur ce dossier.