Les courriers adressés au nouveau ministre du Logement se suivent, mais ne ressemblent pas forcément. Après les lettres envoyées par les élus locaux et les associations défendant la préservation de la loi SRU (qui oblige les communes en zone urbaine à se doter d’au moins 20 % à 25 % de logements sociaux, afin de favoriser la mixité), c’est au tour des maires qui souhaitent la voir évoluer d’écrire au ministre. Ces derniers veulent l’adapter aux spécificités des territoires.
Selon eux, « il est temps d’ouvrir un débat apaisé et sans faux semblant au sujet de la loi SRU ». Dans une lettre ouverte à Guillaume Kasbarian et publiée mercredi sur le site du Journal du Dimanche (JDD), ce sont ainsi 113 élus locaux dont 80 maires* – majoritairement étiquetés LR et Horizons et du sud-est de la France – qui dénoncent les « contraintes » et « les objectifs intenables » qui leur sont imposés « depuis Paris » en matière de logement social et demandent à « reprendre la main ». Dans le même temps, une quarantaine de maires des Bouches-du-Rhône ont, eux aussi, écrit au ministre du Logement pour les mêmes raisons.
« Inapplicable » aux spécificités territoriales
Cette tribune arrive moins d’un moins après que le Premier ministre a annoncé vouloir « ajouter les logements intermédiaires [dont les loyers sont plus élevés qu’en HLM, NDLR], accessibles à la classe moyenne, dans le calcul du quota que les communes soumises à la loi SRU doivent respecter ». Un assouplissement sans précédent dont l’objectif serait de « faire évoluer le logement social pour qu’il réponde davantage aux classes moyennes » qui peinent à se loger.
Menés par le maire de Nice, Christian Estrosi (ancien LR devenu vice-président du parti Horizons), les élus signataires ne mâchent pas leurs mots. Bien que « louable » dans ses objectifs, la loi SRU serait « une ineptie » sur la méthode, voire une « insulte au bon sens » et souffrirait d’un « mal absolu : la contrainte ».
Le maire de Nice a, par ailleurs, qualifié les amendes pour non-respect de la loi de « racket de l’État », lors d’une conférence de presse organisée par des élus locaux de la métropole niçoise critiquant les pénalités SRU dont leur commune doit s’acquitter.
Les élus estiment ainsi que si, « au début des années 2000, cette loi a indéniablement contribué à changer le regard posé sur le logement social, deux décennies plus tard dans nos territoires, elle reste inadaptée ». Vouloir « appliquer le même moule, les mêmes règles, les mêmes contraintes et objectifs à plus de 1 000 communes différentes est une folie », aux yeux des 80 maires, qui estiment qu’« il faudrait, pas moins de 17 ans à certaines communes (…) pour atteindre les objectifs fixés par la loi (…) à condition de ne produire que du logement social ».
La loi SRU serait ainsi « inapplicable » puisqu’elle ne prend pas en compte « les spécificités des territoires » et aboutirait à « des sanctions aveugles et au final à un manque d’efficacité du dispositif censé créer du logement social ».
Ceux-ci réclament, dès lors, « concertation » avec les élus, « différentiation » entre les territoires et « récompense » pour « ceux qui, en dépit de contraintes inhérentes à leurs territoires, font des efforts ».
« Vous trouvez normal que ce soit le préfet, là où c’est le maire qui réalise les logements sociaux (…) qui décide ? », a par ailleurs déploré sur TF1 Christian Estrosi, qui réclame, dans sa tribune, à Guillaume Kasbarian de « redonner la main aux maires en leur permettant de fixer eux-mêmes, en accord avec le préfet, les objectifs de constructions de logements sociaux ».
L’AMF « pas demandeuse »
Mais cette volonté d’aménager la loi SRU est loin de faire l’unanimité chez les maires et les élus locaux en général.
A l’AMF, en premier lieu. Après les annonces de Gabriel Attal sur le logement, l’association avait fait part de son « incompréhension, face à l’ampleur et à la gravité de la crise que vont durablement subir les Français » et rappelé qu’elle n’est « pas demandeuse de cette modification de la loi SRU ».
Si cet aménagement annoncé par le Premier ministre « pourrait servir l’objectif de mixité sociale sur tout le territoire », elle ne croit pas « qu’elle puisse seule avoir un effet levier sur la production de logement social ». En outre, elle souligne que « les maires attendent d’une éventuelle modification de la loi SRU un meilleur soutien à l’ingénierie pour les communes carencées à travers un renforcement des opérateurs fonciers et des moyens financiers directs pour faciliter les préemptions ».
Par ailleurs, une vingtaine de maires de grandes villes, dont Paris, Lyon et Marseille, ont écrit, au début du mois, au chef du gouvernement pour lui faire part de leur inquiétude et lui demander de préserver la loi SRU tandis qu’un collectif d’associations (dont la Confédération nationale du logement), de syndicats et d’élus de gauche a adressé à Guillaume Kasbarian une « alerte » : « poursuivre avec les choix actuels du gouvernement en matière de logement social équivaut à une non-assistance à personnes en danger ». Ils en ont profité pour rappeler que la loi SRU est « garante de la cohésion et de la solidarité entre les territoires ».
Dans son dernier rapport, la Fondation Abbé-Pierre assurait que la « bombe sociale » du logement était « en train d’exploser » et alertait sur les niveaux record de demandeurs de HLM et de personnes dormant à la rue.
Entre 2017 et 2022, « la baisse du taux de satisfaction annuel des demandes HLM est générale, passant de 22 à 17 % pour l’ensemble des demandes de logement social et elle est particulièrement significative pour les ménages les plus modestes », écrivaient ainsi les auteurs du rapport. « Ceux qui disposent moins de 500 euros par mois voient leur taux de succès baisser de 22 % en 2017 à 12 % en 2022 », déplorait la Fondation alors que la construction de nouveaux logements, notamment de logements sociaux, continue de chuter.
*On peut signaler les maires d’Aix-en-Provence, d’Arles, de Salon-de-Provence, de Saint-Laurent-du-Var, de Forcalquier, ou encore d’Embrun, mais aussi de plus petites communes. Parmi les autres signataires figurent Georges Christiani, maire de Mimet et président de l’AMF 13, Renaud Muselier, le président de la Région Provence-Alpes-Côte-d’Azur ou encore la présidente du bailleur social 13 Habitat. Quelques élus d’autres régions de France sont aussi présents, comme les maire de Reims, de Colmar, de Roanne et de Limoges.
SOURCE : MAIREinfo – Édition du vendredi 23 février 2024