La différence d’espérance de vie entre territoires « hyper-ruraux » et « hyper-urbains » est de deux ans pour les hommes et un an pour les femmes, au détriment des campagnes. Loin des idées reçues sur une vie à la ville forcément délétère pour la santé et une vie à la campagne préservant celle-ci, l’étude menée par l’AMRF montre d’inquiétantes disparités, en grande partie dues à la désertification médicale.
« Effets de bordure »
Cela fait plusieurs années que l’Association des maires ruraux de France a engagé « une l’étude au long cours, afin de fournir aux élus ruraux de nouveaux arguments et apporter au débat public de nouvelles données pour se forger une opinion éclairée sur la réalité du désastre sanitaire français ». Cette étude est pilotée par le géographe Emmanuel Vigneron, membre du Haut Conseil de la santé publique, en partenariat avec le groupe Macif.
L’originalité de cette étude est qu’elle étudie les données de mortalité en fonction non des départements mais des bassins de vie. Si l’on s’en tient aux départements, la « géographie de la mortalité » est déjà bien connue : on meurt plus tôt dans les départements les plus pauvres et les plus ouvriers du nord et de l’est de la France. Mais étudier ces données à la maille des bassins de vie fait apparaître « des différenciations infra-départementales majeures » entre ville centre et, en périphérie, « le rural de plus en plus profond à mesure qu’on s’éloigne du centre ».
Les auteurs de l’étude s’appuient sur l’indice appelé ICM (indice comparatif de mortalité). Il s’agit d’un outil statistique permettant, explique l’Insee, de comparer le nombre de décès dans une population donnée avec le nombre de décès « normal » : par exemple en appliquant à la population d’un département les taux de mortalité nationaux. Lorsque l’indice est supérieur à 100, cela signifie que la mortalité de la population étudiée est supérieure à la moyenne nationale.
Exemple pris dans l’étude : le cas de la Seine-et-Marne, autour de la ville de Fontainebleau. Plus on s’éloigne de la ville, plus l’ICM augmente : il est de 84 à Fontainebleau – donc très inférieur à la moyenne nationale –, puis, au fur et à mesure que l’on s’éloigne vers le nord-est, augmente de commune en commune pour atteindre 133 autour de la Ferté-sous-Jouarre.
Autre constat qui ressort de l’étude : les « effets de bordure ». Le plus souvent, détaille l’AMRF, les zones de surmortalité les plus importantes « sont situées aux limites des départements et très souvent aux marges des régions à cheval sur deux ou trois des départements. C’est notamment le cas « aux confins du Tarn-et-Garonne, du Gers et de la Haute-Garonne », ou encore « dans la zone de contact entre la Haute-Saône, les Vosges, la Haute-Marne, la Meuse et la Meurthe-et-Moselle ».
« La centralité se renforce », poursuit l’AMRF : « La centralisation des soins a des effets délétères qui contribuent à l’abandon des territoires périphériques. »
Espérance de vie
En prenant en compte l’ensemble des bassins de vie, il apparaît que dans les bassins de vie urbains, l’ICM est de 98, alors que dans les bassins de vie ruraux, il est de 104 : « À âge et sexe égal, l’indice de mortalité des bassins de vie ruraux et supérieur de 6 points à celui des bassins de vie urbains ». Ce qui permet un calcul, certes théorique, mais frappant : « On peut calculer le nombre de décès qui pourraient être évité si l’ICM était le même en milieu rural qu’en ville : il correspond à 14 216 décès par an en plus dans les zones rurales que ce qui serait attendu si l’espérance de vie y était identique à celle des villes ».
Ces données se reflètent d’ailleurs parfaitement sur les chiffres d’espérance de vie ramenées aux bassins de vie : dans les bassins de vie hyper-ruraux, elle est de 78,8 ans pour les hommes et 84,9 ans pour les femmes ; dans l’hyper-urbain, ces chiffres sont de 80,2 ans et 85,7 ans. « Les départements hyper-ruraux ont entre 10 et 15 ans de retard sur les départements urbains, note l’AMRF. Ils en sont là où ces derniers étaient avant 2010. »
Ces données alarmantes rendent plus cruciale encore la résolution du problème des déserts médicaux, au centre des préoccupations des associations d’élus depuis des années, ce qui demandera des mesures bien plus vigoureuses que ce que le gouvernement a proposé jusqu’à présent. La récente proposition de fermeture des petites maternités, pour ne prendre que cet exemple, ne risque pas d’aller dans le sens d’une réduction des écarts entre villes et campagnes.
SOURCE : MAIREinfo – Édition du vendredi 21 avril 2023