« Les ménages les plus dotés en patrimoine immobilier sont relativement moins taxés. » C’est le constat réalisé par l’Insee, dans une étude publiée, hier, qui démontre que la taxe foncière pèse relativement davantage sur les ménages les plus modestes.
L’information a son importance puisque jusqu’à présent « la distribution de cet impôt [restait] peu connue », mais qu’une « nouvelle base de données » sur le patrimoine immobilier construite par l’Institut permet dorénavant « d’éclairer cette question » en fournissant une estimation de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) des ménages en fonction des caractéristiques des propriétaires et de leur patrimoine immobilier, soulignent les auteurs de ce travail qui porte sur l’année 2017.
Une taxe « régressive »
A cette date, les 17 millions de ménages imposés à la TFPB avaient ainsi payé 19,2 milliards d’euros, celle-ci ayant été « inférieure à 500 euros pour un quart des ménages, inférieure à 810 euros pour un ménage sur deux, et [ayant] dépassé 2 900 euros pour 5 % » d’entre eux.
Si cette taxe foncière représentait en moyenne 0,34 % du patrimoine immobilier brut des ménages propriétaires en 2017, ce « taux apparent d’imposition » (c’est-à-dire la taxe foncière rapportée à la valeur du patrimoine immobilier brut des ménages propriétaires) diminue « au fur et à mesure que le patrimoine immobilier brut des ménages augmente », observe l’Insee. Résultat, la taxe foncière est « régressive ».
Concrètement, ce taux était ainsi « supérieur à 0,5 % » pour les ménages ayant le patrimoine immobilier le plus faible, il s’approchait de 0,4 % « pour les ménages entre les centiles 60 et 90 », avant de décroître au sein des 10 % de ménages aux patrimoines immobiliers les plus élevés. Jusqu’à s’établir à 0,22 % pour les 1 % de ménages aux patrimoines les plus importants et même à « 0,18 % au-delà de 0,1 % ». Pour ces derniers, cela représentait donc près de la moitié du taux apparent d’imposition moyen du patrimoine immobilier.
Obsolescence des valeurs cadastrales
Pourquoi une telle dégressivité qui peut paraître peu intuitive ? Celle-ci s’explique en premier lieu par « l’écart entre la base imposable issue des valeurs locatives cadastrales et les valeurs de marché», explique l’Insee.
Plus simplement, « les ménages ayant un patrimoine immobilier élevé possèdent plus fréquemment des logements dont la valeur locative cadastrale est faible au regard de leur valeur de marché », si ce n’est « obsolète » dans le cas des logements anciens situés dans le centre des grandes agglomérations.
La taxe foncière est ainsi régressive en raison principalement de la sous-évaluation de la valeur de l’immobilier dans les communes les plus aisées. Le problème est bien connu et provient du fait que celle-ci a été fixée dans les années 1970 et ne reflète donc plus le marché immobilier actuel. L’autre pendant à cette situation réside dans la survalorisation des constructions neuves de cette époque… qui se sont, pour certaines, largement dégradées.
Ce qui explique pourquoi la taxe foncière pèse davantage en Seine-Saint-Denis qu’à Paris, et est généralement plus faible dans les grandes agglomérations et le littoral, là où les prix de l’immobilier sont les plus chers.
« En Île-de-France particulièrement, les ménages aux patrimoines immobiliers élevés possèdent ainsi une grande partie des biens immobiliers situés dans Paris et dans les Hauts-de-Seine. Inversement, […] en Seine-Saint-Denis, les logements sont plus fréquemment possédés par des ménages aux patrimoines immobiliers moins élevés », soulignent les auteurs de l’étude qui observent ainsi que le taux apparent d’imposition est de 0,09 % à Paris, de 0,16 % dans le département des Hauts-de-Seine, contre 0,42 % en Seine-Saint-Denis.
Et si la taxe foncière représente 2,5 % du revenu disponible pour les trois quarts des ménages propriétaires, l’Insee constate, de la même manière, que « les 20 % des propriétaires les plus modestes consacrent plus de 4 % de leur revenu disponible à la taxe foncière, et 1,6 % pour les 1 % les plus aisés ».
Basculer les DMTO vers la taxe foncière
Se basant notamment sur ce travail de l’Insee, le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) a demandé, dans un rapport publié hier, à engager une réforme de la fiscalité de l’immobilier, à laquelle il reproche certaines « incohérences », de « rigidifier » le marché et de ne « pas [être] adaptée aux nouveaux enjeux environnementaux ».
Si cet organe rattaché à la Cour des comptes critique certains dispositifs fiscaux, il propose d’abord d’adopter une « plus grande neutralité fiscale » en cherchant « à taxer plus la détention que l’acquisition ».
Au vu notamment « des effets économiques peu efficients des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) » (leurs effets sur la mobilité résidentielle sont considérés comme « globalement négatifs» ), il préconise d’envisager « une bascule des DMTO vers la taxe foncière, sans perte pour les collectivités locales », tout en engageant « une réflexion précise sur l’assiette foncière, dont les incohérences par rapport aux réalités économiques locales et les effets régressifs entre propriétaires sont patents ». Dans ce cadre, les auteurs du rapport jugent une révision des valeurs locatives cadastrales « nécessaire ».
Ils réclament, par ailleurs, que soit supprimé l’abattement « favorable » dont bénéficient les propriétaires de locations meublées de tourisme classées, à l’image de ce qu’ont décidé les sénateurs lors de l’examen du projet de loi de finances (PLF) pour 2024. Plus globalement, ils souhaitent s’attaquer à « la distinction historique et unique dans le monde entre la location vide et la location meublée » en unifiant « progressivement » le droit fiscal, autour de deux régimes : « le microfoncier (en-dessous de 15 000 euros) et le réel ».
Orienter le PTZ vers la « sobriété foncière »
Afin de mettre en cohérence les dispositifs fiscaux avec la valeur économique des logements, le CPO recommande également d’étendre la liste des communes soumises à la taxe sur les logements vacants (TLV) « en excluant les territoires en déprise » et de « supprimer la possibilité pour les communes et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) d’instituer la taxe d’habitation sur les logements vacants (THLV) ».
Certains dispositifs sont, par ailleurs, jugés inadaptés aux enjeux environnementaux puisqu’ils ont tendance à favoriser le neuf. C’est le cas notamment du prêt à taux zéro (PTZ) que le Conseil voudrait voir s’ouvrir au « logement ancien avec travaux dans les zones tendues », ce qui permettrait « une forme de sobriété foncière ». Pour rappel, le gouvernement a décidé, dans le cadre du PLF pour 2024, de recentrer ce dispositif sur les seuls « logements neufs en collectif » dans les zones tendues ou sur « les logements anciens sous conditions de rénovation » en zone détendue.
Les auteurs du rapport réclament, en outre, de « confirmer la non-reconduction du dispositif Pinel et l’absence de dispositif équivalent en remplacement ».
SOURCE : MAIREinfo – Édition du mardi 19 décembre 2023