Il faut espérer que la formule souvent utilisée par David Lisnard, le président de l’AMF (« en général quand le gouvernement parle de ‘’choc’’, cela finit par un ‘’flop’’ » ), ne se trouvera pas vérifiée une nouvelle fois. Gabriel Attal a réagi aux résultats peu glorieux de l’enquête Pisa (lire article ci-contre) en dégainant un plan baptisé « choc des savoirs », résultat, explique-t-il, de deux mois de travaux d’une mission « Exigence des savoirs » composée «d’experts et de professeurs » et des contributions des quelque 23 000 enseignants qui ont participé à une « consultation numérique ».
Changement de doctrine sur le redoublement
Dans une Lettre aux personnels de l’Éducation nationale, le ministre s’adresse directement aux membres de la communauté éducative pour leur dire que c’est « avec les professeurs, par les professeurs et grâce aux professeurs que nous relèverons le défi de l’élévation du niveau ». Gabriel Attal estime que « de réforme en réforme, l’autorité de l’expertise pédagogique [des professeurs] a été affaiblie ». Il souhaite donc engager « une revitalisation pédagogique à la main des professeurs », pour « remettre de l’exigence à tous les étages, avec la science et le bon sens comme boussole ».
Pour « rendre la main » aux professeurs, le ministre annonce notamment deux mesures.
La première concerne le redoublement, notamment à l’école primaire. Le ministre a décidé de rompre avec la doctrine en vigueur depuis 2014, à savoir le fait de conditionner les redoublements à l’accord des parents, ce qui rend ceux-ci exceptionnels : alors que dans les années 1980, un tiers des élèves en fin de CM2 avaient redoublé au moins une classe, cette proportion est tombée à 4,5 % aujourd’hui. Le choix opéré en 2014, soutient Gabriel Attal, a été une erreur, appuyée sur « l’idée que le redoublement ne serait pas efficace ». À l’inverse – en s’appuyant « sur la recherche scientifique » – il estime que « promouvoir un passage quasi-sytématique en classe supérieure peut condamner des élèves à l’échec scolaire durant toute leur scolarité », et que « mieux vaut réussir sa scolarité élémentaire en six ans que demeurer en difficulté après cinq années ». Conclusion : dès cette année, le ministre va mettre fin au « dernier mot par les parents » : « Les professeurs auront désormais le dernier mot s’agissant du redoublement. »
Cela signifiera, concrètement, de modifier tout ou partie du décret du 18 novembre 2014 relatif au suivi et à l’accompagnement pédagogique des élèves, pris à l’époque par Nadia Vallaud-Belkacem, dont le but était, expliquait-elle à l’époque, de « poser le principe d’une école qui ne stigmatise pas les difficultés mais accompagne tous les élèves ». Gabriel Attal annonce un nouveau décret pour le premier trimestre 2024.
La fin du « correctif académique »
Toujours pour « rendre la main aux professeurs », le ministre fait une deuxième annonce importante : la fin de la pratique dite du « correctif académique » pour le brevet et le baccalauréat.
De quoi s’agit-il ? Lors des sessions du brevet des collèges et du baccalauréat, les services académiques ont la possibilité de modifier les notes données par les correcteurs, officiellement pour harmoniser les résultats, mais plus probablement, de l’aveu même de certains recteurs, pour rendre celles-ci conformes aux exigences ministérielles en matière de taux de réussite.
Cette pratique va disparaître, assure Gabriel Attal, qui prendra dès cette année « une circulaire dans ce sens ». « Ce sont désormais les notes que vous attribuez, et elles seules, qui détermineront l’obtention [de ces examens] par nos élèves », a déclaré le ministre aux professeurs. Avec, à la clé, le risque d’une chute sérieuse des taux de réussite. « Je l’assume », a affirmé le ministre.
Manuels scolaires dans le premier degré
Bien d’autres mesures, d’ordre pédagogique, ont été annoncées par Gabriel Attal hier. Mais l’une d’entre elles intéressera particulièrement les maires : elle concerne les manuels scolaires dans les écoles du premier degré. Dans le dossier de presse du plan présenté hier, on apprend qu’aujourd’hui, « plus d’un tiers des classes à l’école primaire ne disposent pas de manuels de français ou de mathématiques », et « 60 % en CP ». Pourtant, « il est démontré (…) que l’usage de manuels améliore significativement les résultats des élèves ». Deux mesures sont annoncées : d’abord le lancement d’un processus de « labellisation » des manuels scolaires pour en « certifier » la qualité pédagogique en fonction d’un cahier des charges national – ce qui, aussi stupéfiant que cela puisse paraître, n’était pas le cas jusqu’à présent.
Mais surtout, le ministre a annoncé que l’État allait désormais, et ce « bien que ce soit une compétence des collectivités », financer « des manuels scolaires en lecture et mathématiques des élèves de CP et de CE1 », dès la rentrée 2024. Comment, sous quelle forme, à quel niveau ? On l’ignore pour l’instant : le dossier de presse parle d’un financement « aux côtés des communes », ce qui laisse supposer un co-financement. Cette annonce n’a pas été concertée avec l’AMF.
Il reste donc à préciser les modalités de cette décision. Pour l’instant, la loi n’impose le financement des manuels scolaires par l’État que dans les collèges, les établissements publics locaux d’enseignement et de formation professionnelle agricole (article L211-8 du Code de l’éducation). Le dispositif évoqué par Gabriel Attal prendra-t-il la forme d’une dotation spéciale, d’une subvention ? ou plus simplement de l’achat de manuels par l’État et leur fourniture à titre gratuit aux élèves ? C’est peut-être cette dernière solution qui sera privilégiée, puisque le ministre a annoncé, dans sa lettre aux professeurs, qu’il « lancera(it) les achats pour la rentrée 2024 ».
Récemment auditionnée à l’Assemblée nationale, l’AMF a fait savoir que la labellisation des manuels scolaires constituerait une mesure fondamentale pour garantir l’école de la République. Elle a toutefois prévenu qu’un nouveau renouvellement des manuels scolaires dans les écoles ne pourra pas se faire sans un appui financier fort de l’État, rappelant que les communes n’ont pas d’obligation légale dans ce domaine et que leur mobilisation ne peut s’effectuer qu’en fonction de leurs moyens.
Entendue dans le cadre de la mission « Exigence des savoirs », l’AMF a, en outre, souligné la nécessité de donner une meilleure visibilité aux élus sur les transformations en cours de la pédagogie à l’école.
SOURCE : MAIREinfo – Édition du mercredi 6 décembre 2023