Pour Laurent Roussel, adjoint au maire de Fontainebleau et premier vice-président de la communauté d’agglomération du Pays de Fontainebleau (Seine-et-Marne), cela a été la double peine : s’estimant victime, depuis deux ans, de discrimination à son travail en tant qu’élu municipal, il s’est également, tout récemment, vu réclamer plusieurs dizaines de milliers d’euros à la fois par son employeur et par l’Assurance maladie, pour avoir, avec l’autorisation de son médecin, participé à des séances du conseil municipal pendant un arrêt maladie.
Discrimination
L’engagement de Laurent Roussel en tant qu’élu local n’a, selon lui, pas plu à son employeur, un grand groupe bancaire européen. Comme l’élu en avait témoigné, lors du dernier congrès de l’AMF, lors du débat sur les difficultés du mandat d’élu local, son employeur avait estimé – y compris par écrit – que son engagement municipal présentait une « incompatibilité » avec son emploi. L’élu dit avoir dès lors subi toute une série de brimades, dont une mutation forcée et la privation d’une grande partie de ses responsabilités.
Décidé à « ne pas se laisser faire », Laurent Roussel a saisi les Prud’hommes pour discrimination. S’il avait été délégué syndical, expliquait-il lors du congrès de l’AMF, les choses auraient été relativement simples, mais elles le sont beaucoup moins dès lors qu’il s’agit d’une discrimination pour exercice d’un mandat local – pratique pourtant reconnue illégale par la loi. Depuis deux ans, la procédure est en cours, la charge de la preuve revenant à l’élu. Le tribunal va statuer, normalement, au début du mois de mars prochain – ce qui sera une date à retenir car ce jugement pourrait faire jurisprudence.
Une disposition prévue par la loi
Mais ce n’est que le premier épisode de cette affaire ubuesque. La dégradation des conditions de travail de Laurent Roussel a été telle que l’élu a été victime de dépression, ce qui l’a conduit à obtenir un arrêt de travail, début 2023, arrêt de travail qui allait se prolonger pendant 7 mois.
On se rappelle que les élus qui sont en arrêt de travail peuvent, sous réserve de l’accord formel préalable et explicite de leur médecin traitant, continuer d’exercer les responsabilités liées à leur mandat. Cette disposition figure en toute lettre dans le Code de la Sécurité sociale, depuis la loi Engagement et proximité de 2019, dont l’article 103 dispose qu’en cas d’arrêt maladie, « les élus locaux peuvent poursuivre l’exercice de leur mandat, sous réserve de l’accord formel de leur praticien ». Cet ajout avait été fait dans la loi après de nombreux cas où l’Assurance maladie avait exigé à des élus le remboursement de leurs indemnités journalières, après qu’il eut été établi qu’ils avaient participé à des réunions liées à leur mandat pendant leur arrêt maladie.
Cette disposition est trop peu connue des élus comme des médecins, malgré les efforts de l’AMF pour en faire la promotion. Et, plus de quatre ans après la loi, le nouveau formulaire d’arrêt de travail informant les médecins de cette situation n’est toujours pas diffusé. Pourtant, dans une réponse ministérielle publiée tout récemment par le Sénat, en date du 21 décembre 2023, le ministère de la Santé écrit : « Une procédure d’homologation a été mise en œuvre afin de permettre la mise en place d’un nouveau modèle de formulaire Cerfa d’arrêt de travail. Celui-ci comprend un ajout spécifique aux élus locaux (rubrique 6 de la notice) pour rappeler très clairement aux médecins prescripteurs des arrêts de travail qu’ils peuvent autoriser l’exercice de l’activité au titre du mandat électif de l’élu local pendant son arrêt maladie et que ce dernier peut ainsi percevoir ses indemnités de fonction au titre de son mandat d’élu. »
Intervention de l’AMF
Dans le cas qui nous occupe ici, Laurent Roussel et son médecin ont fait les choses dans les règles : le médecin a formellement autorisé l’élu à exercer son mandat pendant son arrêt de travail. Et pourtant… deux mois après sa reprise du travail, l’employeur de Laurent Roussel reçoit un courrier de la CPAM lui demandant de rembourser les indemnités journalières, au motif que l’élu a continué d’exercer son mandat. Comme l’explique Laurent Roussel, « mon employeur s’est alors retourné contre moi et m’a demandé de lui rembourser l’intégralité des salaires, y compris les charges sociales, et a procédé à des retenues sur salaire pour se rembourser », le 29 décembre, veille de fête ! Ces retenues s’élevaient à plus de 60 000 euros. Seule la quotité non saisissable était alors versée à l’élu.
Lors d’un échange au congrès de l’AMF avec une représentante de l’Assurance maladie, un élément d’explication a été donné : faute de disposer du formulaire Cerfa à jour, qui doit donc comporter une case spécifique pour ce cas, le médecin a écrit son autorisation « où il a pu », a expliqué l’élu. C’est ce qui pourrait expliquer, selon la représentante de la Cnam, que cette mention n’ait pas été prise en compte. Sauf qu’on ne voit pas bien en quoi l’élu est responsable de la lenteur des services de l’État à diffuser un formulaire Cerfa à jour.
Saisie par l’élu bellifontain, l’AMF est intervenue auprès de la Cnam et jusqu’au cabinet de la ministre chargée des Collectivités territoriales. Le président de l’AMF, David Lisnard, s’est adressé par courrier au directeur général de la Cnam pour lui demander de mettre fin à cette situation « inacceptable », et en a profité pour demander, eu égard à la multiplication de ce type de problème, qu’un « contact » soit placé directement auprès du directeur général de la Cnam pour « tenter de résoudre au plus vite ces situations qui nuisent au bon fonctionnement de la démocratie ».
L’appel a été entendu par la Cpam, qui a statué le 20 janvier et annulé la demande de remboursement des indemnités journalières, ce qui a conduit l’employeur à annuler sa propre demande de remboursement.
Cette victoire pour l’élu, outre la mobilisation de l’AMF, a été permise uniquement par le fait que Laurent Roussel avait insisté auprès de son médecin pour que celui-ci indique par écrit qu’il l’autorisait à exercer son activité, conformément à la loi (articles L.323-6 et R. 323-11-1 du Code de la Sécurité sociale). Faute de quoi, le dossier n’aurait probablement pas été revu par l’Assurance maladie. Il faut donc, une fois encore, rappeler à quel point il est crucial, lors de la délivrance d’un arrêt maladie, de demander au médecin d’inscrire formellement cette autorisation sur l’arrêt de travail.
SOURCE : MAIREinfo – Édition du lundi 29 janvier 2024