Une charte d’engagement, approuvée par l’État et ayant un impact sur la biodiversité et la santé humaine est une « décision publique ayant une incidence sur l’environnement ». Elle est donc soumise au principe de participation du public garanti par l’article 7 de la Charte de l’environnement. C’est en substance ce que vient de juger le Conseil constitutionnel, via une décision du 19 mars rendue dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), transmise par le Conseil d’État. C’est dans le cadre du contentieux porté par un collectif d’associations à l’encontre des textes d’application de la loi dite « Egalim » du 30 octobre 2018 qu’intervient cette QPC. Pour mémoire, ces textes – un décret et un arrêté – fixent des périmètres de protection autour des habitations selon le type de culture et la dangerosité des produits utilisés – allant de 3 à 20 mètres. Des distances jugées insuffisantes par le collectif d’associations formé par Générations Futures, France Nature Environnement, UFC-Que choisir, le Collectif Vigilance OGM et pesticides 16, l’Union syndicale Solidaires, Eau et rivières de Bretagne, Alerte des médecins sur les pesticides, et enfin, le Collectif de soutien aux victimes des pesticides de l’ouest. La loi Egalim prévoit que si les utilisateurs de ces produits s’engagent, à travers des chartes d’engagement, à mettre en place des mesures destinées à protéger les riverains lors des pulvérisations, le préfet peut prévoir d’adapter les distances de non utilisation à proximité des habitations.
Concertation
Dans le cadre de la QPC, était plus précisément en cause le paragraphe III de l’article L. 253-8 du Code rural et de la pêche maritime, issu de la loi Egalim. En clair, le cadre législatif des chartes locales d’engagement, définies par les utilisateurs de produits phytopharmaceutiques à l’échelle départementale, « après concertation avec les personnes, ou leurs représentants, habitant à proximité des zones susceptibles d’être traitées ».
Pour les requérants, « le législateur aurait méconnu l’étendue de sa compétence, faute d’avoir suffisamment précisé les conditions de la concertation préalable à l’élaboration des chartes par lesquelles les utilisateurs de produits phytopharmaceutiques s’engagent à respecter certaines mesures de protection des riverains ». Autres failles relevées : la concertation autour de ces chartes « associe, non pas chacun des riverains en cause, mais seulement leurs représentants ». De même que son organisation, confiée aux utilisateurs de pesticides, ne peut répondre aux garanties de neutralité et d’impartialité, estiment encore les associations requérantes.
Un argumentaire qui a fait mouche : compte tenu de l’intervention du préfet sur ces chartes, les Sages estiment implicitement qu’elles « doivent nécessairement faire l’objet d’une décision de l’autorité administrative pour produire des effets juridiques ». De même que « dès lors qu’elles régissent les conditions d’utilisation à proximité des habitations des produits phytopharmaceutiques, lesquels ont des conséquences sur la biodiversité et la santé humaine », ces chartes ont une « incidence directe et significative sur l’environnement ». Par conséquent, le Conseil constitutionnel considère qu’elles entrent dans le cadre de l’article 7 de la Charte de l’environnement, et qu’elles doivent donc satisfaire aux « exigences d’une participation de »toute personne » » imposées par ce même article. Des impératifs non satisfaits en l’état du dispositif actuel, estiment les Sages. En conséquence, ils ont censuré la rédaction suivante : « Après concertation avec les personnes, ou leurs représentants, habitant à proximité des zones susceptibles d’être traitées ». Dans l’état actuel du texte, les utilisateurs peuvent continuer à proposer des chartes départementales d’engagement, mais ils n’ont plus aucune obligation en matière de concertation. Ces chartes ne permettront plus de déroger aux distances prévues par les textes réglementaires.
Feuilleton juridique
Le sujet est brûlant, sans être neuf : depuis 2017, des maires ont pris l’initiative de prendre des arrêtés « anti-pesticides », en fixant des périmètres d’interdiction d’épandage plus larges que ceux prévus par la loi. En 2019, le maire de Langouët (Ille-et-Vilaine), Daniel Cueff, avait ainsi fixé une interdiction d’épandage à moins de 150 m de tout bâtiment d’habitation ou professionnel. Un feuilleton juridique clos par une décision du Conseil d’État du 31 décembre 2020, estimant que si les maires sont habilités par la loi à prendre pour la commune les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques, ils « ne peuvent user de cette compétence pour édicter une réglementation portant sur les conditions générales d’utilisation des produits phytopharmaceutiques qu’il appartient aux seules autorités de l’État de prendre ».
En censurant une partie centrale du dispositif « anti-pesticides » de la loi Egalim, le Conseil constitutionnel relance le débat, et semble faire progressivement pencher la balance du côté des associations environnementales – ou du moins de la Charte de l’environnement, comme le suggère son considérant n°7 : « Il incombe au législateur et, dans le cadre défini par la loi, aux autorités administratives de déterminer, dans le respect des principes ainsi énoncés, les modalités de mise en œuvre (de la Charte de l’environnement) ». Mais l’exercice demandé au législateur est délicat : les autorités administratives ne peuvent pas réglementer les bonnes pratiques qui faisaient l’objet des chartes d’engagement.
En pleine discussion sur les projets de loi Climat, et notamment celui visant à inscrire à l’article 1er de la Constitution la notion de « préservation de l’environnement », cette décision pourrait avoir des incidences directes sur les débats en cours.
Source : MAIREinfo – Édition du mercredi 24 mars 2021