Surtout, ne l’appelez pas « confinement ». C’est visiblement la consigne donnée ce week-end par l’Élysée qui, selon des indiscrétions parues dans la presse, n’a pas apprécié que le Premier ministre utilise le mot jeudi soir. Ce ne sera plus le cas : ce terme est désormais banni de la communication gouvernementale pour être remplacé par celui de « mesures de freinage ».
Le décret paru samedi donne des indications précises sur ces mesures. Précises, mais tellement complexes que le gouvernement, quelques heures après sa parution, a fait machine arrière sur un certain nombre de points. Si les mesures concernant la reprise du sport à l’école et le commerce (lire articles ci-dessous) n’ont pas été modifiées, les règles de déplacement ont évolué au cours du week-end, de façon parfois surprenante.
Imbroglio juridique
Le décret paru samedi matin fixait des règles fort complexes pour les déplacements hors du domicile dans les 16 départements sous alerte maximale. Il est inutile de les détailler ici puisque samedi, en milieu de journée, un communiqué de Matignon est venu redéfinir les règles.
Sauf que l’on se retrouve dans une situation relativement inédite, dans la mesure où aucun texte officiel n’est venu, depuis, modifier le décret paru samedi matin. Le décret reste donc, officiellement, en vigueur, (et c’est lui qui prime d’un point de vue normatif) mais sous réserve « d’allègements » parus sous la forme d’un communiqué de presse de Matignon. Et pour couronner le tout, les nouvelles attestations de déplacement éditées par le ministère de l’Intérieur ce week-end sont, pour partie, contradictoires avec les indications de Matignon ! Autant dire qu’en l’état, le niveau de sécurité juridique de ces mesures est à peu près égal à zéro.
Essayons tout de même de faire le point sur ce qui est autorisé ou non.
Dans les 16 départements sous alerte maximale
Le décret paru samedi matin décrivait par le menu tous les motifs pouvant justifier un déplacement hors du domicile dans les 16 départements soumis à des mesures renforcées, avec à la clé une nouvelle attestation de deux pages, incompréhensible.
Quelques heures plus tard, les services du Premier ministre indiquaient, dans un communiqué publié à 14 h 30, une simplification drastique des règles : l’attestation serait désormais « supprimée », il ne serait « plus obligatoire de justifier du motif de son déplacement », et ce « pour tout déplacement dans un rayon de 10 km autour de son domicile ». En cas de contrôle, il est indiqué qu’il suffit de produire un « justificatif de domicile », par exemple une pièce d’identité.
« Tout déplacement », voilà qui a le mérite d’être clair : on ne distingue pas les activités sportives, les courses, les déplacements pour aller chercher les enfants à l’école, etc.
Mais voilà que quelques heures plus tard, les nouvelles attestations étaient éditées sur le site du ministère de l’Intérieur. Et là, surprise : il est clairement indiqué que le seul cas où l’attestation n’est pas nécessaire est « l’activité physique ou la promenade », et ce toujours dans un rayon de 10 km autour du domicile seulement. Dans ce cas, une attestation n’est à produire que « à défaut de pouvoir présenter un justificatif de domicile ».
Pour tous les autres cas, il faut bel et bien remplir une attestation. Avec deux situations distinctes : certains déplacements ne sont possibles que « au sein de son département de résidence » ou, pour les personnes résidant aux frontières d’un département, avec « une tolérance de 30 km au-delà du département », est-il précisé dans une note de bas de page de l’attestation. Il s’agit des déplacements pour achats de produits de première nécessité ou retraits de commandes, accompagnement des enfants à l’école ou aux activités périscolaires ; des déplacements pour se rendre dans un lieu de culte ou dans un établissement culturel ; et enfin des déplacements pour démarches administratives ou juridiques.
Deuxième situation : les déplacements « sans limitation de distance », c’est-à-dire à la fois au-delà des 10 km et des frontières de son département. On retrouve là les motifs devenus classiques : activité professionnelle, enseignement et formation, missions d’intérêt général (ce dernier cas étant à utiliser par les élus qui se rendent à une réunion liée à leur mandat) ; santé, motif familial impérieux, situation de handicap, convocation judiciaire ou administrative, déménagements et déplacements de transit vers les gares ou les aéroports.
Il reste à espérer, maintenant, qu’un texte officiel va venir, à un moment ou un autre, apporter un peu de clarté juridique dans cette situation.
Dans les autres départements
Dans les 84 départements non concernés par les « mesures de freinage », les règles ne changent pas, à une exception près : le couvre-feu débute désormais à 19 h au lieu de 18 h. À partir de cette heure, l’attestation est obligatoire, sauf motifs dérogatoires allant des activités professionnelles aux « besoins des animaux de compagnie » en passant par les raisons de santé ou motifs familiaux impérieux.
Reste à savoir si, dans les jours qui viennent, d’autres départements vont être soumis aux nouvelles mesures de freinage. Les taux d’incidence et les taux d’occupation des services de réanimation, en forte hausse dans plusieurs d’entre eux, le laissent craindre. Olivier Guérin, chef du pôle gériatrie du CHU de Nice et membre du Conseil scientifique, plaide en tout cas ce matin pour cette solution, estimant qu’imposer ces mesures rapidement pourrait être utile « dans les régions qui sont en dynamique de croissance ».
Des scientifiques dubitatifs
L’autre question tient à l’efficacité de ces nouvelles mesures et à leur acceptation par les Français – sans parler de leur compréhension. Le professeur Philippe Juvin, maire de la Garenne-Colombes (92) et chef du service des urgences de l’hôpital Georges-Pompidou, à Paris, a résumé cette question hier, dans une interview à Cnews. Disant « ne pas voir par quel miracle ces mesures (pourraient) freiner l’épidémie », Philippe Juvin a avoué « ne rien y comprendre » : « L’affaire des 10 km, des 30 km, l’attestation, pas l’attestation, le coiffeur mais pas l’esthéticienne, le fleuriste et pas le cordonnier ou l’inverse, c’est incompréhensible. Mais est-ce que ces mesures vont vraiment changer les choses ? Je ne le crois pas. »
Autre avis scientifique publié ce week-end : celui de l’épidémiologiste Arnaud Fontanet, membre du Conseil scientifique, qui a jeté un nouveau pavé dans la mare en estimant que le choix du gouvernement de laisser les écoles entièrement ouvertes était « un risque ». Les écoles sont « le talon d’Achille du système actuel », expliquait hier le professeur dans le Journal du dimanche, parce que « si l’immense majorité des enfants ne fait pas de complications cliniques, ils exposent leurs proches ayant des comorbidités ou leurs grands-parents ». A minima, le professeur Fontanet aurait souhaité que la mesure d’accueil en « demi-jauge », instaurée pour tous les lycées, soit également appliquée aux collèges.
Source : MAIREinfo – Édition du lundi 22 mars 2021