Marche arrière, toute (ou presque) ! Quelques jours après la publication d’une ordonnance Covid-19 suspendant, durant la période d’état d’urgence sanitaire, la plupart des délais courant en matière d’urbanisme, le gouvernement a décidé de revenir sur sa copie, sous la pression des professionnels de la construction et de l’immobilier craignant une paralysie du secteur, avec pour ambition affichée de revenir au statu quo ante.
Revirement, cas par cas, « position intenable »
Occultant les conditions de travail dégradées des collectivités, et notamment des services instructeurs – régulièrement pointés du doigt par les professionnels du BTP – les premières propositions avancées par le gouvernement se voulaient radicales. Il s’agissait en fait de réduire à néant les effets de la première ordonnance – à peine entrée en vigueur – en revenant sur la suspension des délais d’instruction durant la période de l’état d’urgence sanitaire (12 mars – 24 mai), et sur la prorogation des délais de recours. Cerise sur le gâteau, les maires, présidents d’intercommunalités et préfets se voyaient confier la responsabilité de « décider » de suspendre les délais d’instruction en cas d’impossibilité matérielle.
Sur cette dernière proposition, un courrier commun de trois associations d’élus locaux (l’AdCF, France Urbaine et l’AMF), daté du 9 avril, a été adressé au ministre chargé de la Ville et du Logement, Julien Denormandie, pour dénoncer un « revirement complet » induisant « une instabilité et une insécurité particulièrement nuisibles à l’organisation des services instructeurs, déjà lourdement éprouvés par la crise actuelle ». Dans cette missive, les élus locaux faisaient également valoir leur « position intenable » s’ils devaient motiver – qui plus est « au cas par cas » –, l’impossibilité de répondre à une demande d’instruction, conséquence de décisions gouvernementales.
Délais de recours : la purge réduite à 2 mois
C’est donc une version médiane qui a finalement été retenue, offrant plus de souplesse – et donc de perspectives – aux acteurs du BTP et de l’immobilier, tout en tenant compte, a minima, des contraintes des services chargés de l’urbanisme. Premier soulagement pour les collectivités : le cadre juridique de computation des délais reste national – exit donc les « délais à la carte », source intarissable d’insécurité juridique. Autre avancée, cette fois en faveur de la lisibilité du dispositif : l’ordonnance du 15 avril, publiée hier au Journal officiel, ajoute au précédent texte un titre II bis dédié aux procédures en matière d’urbanisme et d’aménagement.
Répondant directement aux attentes des acteurs du de la construction, les délais de recours à l’encontre des autorisations d’urbanisme sont finalement suspendus – et non plus prorogés comme le prévoyait la première ordonnance. Dès le 24 mai, ces délais reprendront pour le nombre de jours qui restaient à courir au 12 mars – une période « sanctuarisée » de 7 jours minimum étant prévue dans tous les cas pour préserver l’exercice effectif des recours. A noter que ces mêmes délais s’appliquent aux déférés préfectoraux, précise l’ordonnance du 15 avril.
Délais d’instruction, droit de préemption : suspension sans mois tampon
Autre évolution, visant toujours à « relancer aussi rapidement que possible (…) le secteur de l’immobilier » selon le rapport relatif à l’ordonnance : les délais d’instruction reprendront leur cours dès la fin de l’état d’urgence sanitaire – et non un mois plus tard. Même régime pour les délais relatifs au droit de préemption dans le cadre des déclarations d’intention d’aliéner : le mois tampon disparaît. De ce point de vue, l’ordonnance du 15 avril devrait ainsi « donner une visibilité à plus court terme aux porteurs de projets quant au lancement de leur opération et (…) faciliter la reprise de l’activité », expose une note de synthèse du ministère de la Cohésion des territoires.
Commissions étatiques, temps masqué
Mais pour que les services instructeurs soient opérationnels le 24 mai, relève Olivier Pavy, maire de Salbris et référent en matière d’urbanisme à l’AMF, les services de l’Etat tenus de délivrer des avis dans le cadre de l’instruction de certaines autorisations (Architectes des bâtiments de France, concessionnaires, services d’incendie et de secours, etc.) vont devoir, eux aussi, participer pleinement à la mobilisation générale.
Car pour l’heure, estime aussi Pierre Jarlier, maire de Saint-Flour et président de Saint-Flour Communauté, les difficultés rencontrées par les services instructeurs sont souvent liées à une « lenteur particulière de certaines commissions étatiques », et non aux capacités des services instructeurs en eux-mêmes. Si les délais sont suspendus, l’instruction se poursuit « en temps masqué », rappelle-t-il. De ce point de vue, l’ordonnance du 15 avril est claire : la suppression du mois tampon s’applique également aux « délais impartis (…) aux services, autorités ou commissions, pour émettre un avis ou donner un accord dans le cadre de l’instruction d’une demande ou d’une déclaration ».
Olivier Pavy rappelle qu’« en tant que collectivités, ce que nous souhaitons avant tout, c’est éviter les décisions tacites ». C’était d’ailleurs tout l’objectif de la première ordonnance, mis à mal avec ce nouveau texte. En revenant aussi rapidement sur l’ordonnance du 25 mars, la sécurité juridique des autorisations délivrées risque d’être sujette à contentieux. « Quid des notifications des délais de recours fondées sur la première ordonnance ? », interroge notamment Pierre Jarlier. En ce sens, « les porteurs de projet ne sortiront pas nécessairement gagnants de la réduction des délais d’instruction », estime le maire de Saint-Flour. Mais « cette période de crise doit permettre avant tout, avec les différents acteurs de la construction en lien avec les collectivités, de tirer les leçons nécessaires pour éviter les risques contentieux liés à l’instabilité juridique actuelle », conclut Olivier Pavy. Autrement dit, les maires appellent à jouer collectif…
Accéder à l’ordonnance du 15 avril.
Télécharger la note de synthèse du ministère de la Cohésion des territoires.
Source : MAIREinfo – Édition du vendredi 17 avril 2020