Plus les jours passent, plus il semble inéluctable que le pays va être touché par des coupures d’électricité cet hiver, résultat d’une situation inédite due à la concomitance de la crise ukrainienne et de l’indisponibilité d’une large partie des réacteurs du parc nucléaire français. Le gouvernement commence à préparer largement les esprits à cette possibilité, Enedis ayant, de son côté, déjà préparé le dossier depuis longtemps.
Anticipation
Les choses se sont accélérées mardi, après le Conseil des ministres lors duquel la Première ministre a présenté une communication sur ce sujet : la possibilité de procéder à des délestages « ne peut être à ce jour exclue ni confirmée, et doit donc être préparée ». Le principe a été posé de coupures qui n’excéderont pas deux heures, et n’affecteront jamais un département tout entier, mais des « portions de départements ». Il va donc s’agir « d’anticiper les effets de ces coupures dans la vie quotidienne », dans la mesure où elles vont nécessairement « perturber (…) les communications téléphoniques, les transports, les écoles, etc. » Le gouvernement demande donc à tous les acteurs, notamment « opérateurs, État, collectivités territoriales et élus », de s’engager dans la préparation de cette situation.
Une circulaire de la Première ministre a été envoyée, hier, aux préfets, pour donner de premières indications, mais elle n’a à cette heure pas encore été rendue publique.
Coupures localisées
On sait toutefois, dans les grandes lignes, comment les choses vont se passer en cas de coupures. Si l’on entre dans une phase de grande tension sur l’approvisionnement, ce qui dépendra essentiellement de la température, le signal EcoWatt passera au rouge. Dans ce cas, des mesures d’urgence pourront encore éviter les coupures : demande aux usagers de réduire au maximum la consommation, diminution de la tension de 5 % sur le réseau… En dernier recours, si cela ne suffit pas, RTE (le gestionnaire du réseau de transport d’électricité) devra déclencher des coupures, qui auront lieu entre 8 h et 13 h et entre 18 h et 20 h, « sur des zones géographiques précises », indique un document d’Enedis que Maire info a pu consulter.
Ces délestages seront décidés par RTE mais opérés techniquement par Enedis, qui distribue l’électricité. Contrairement aux rumeurs, il faut savoir que le compteur Linky ne sera nullement impliqué dans ces coupures : les coupures seront opérées sur ce qu’on appelle les « départs » moyenne tension ou basse tension (un départ basse tension alimente environ 2000 foyers en ville et 1000 en zone rurale). En cas de coupure d’un ou plusieurs de ces départs, tous les clients qui y sont raccordés seront privés d’électricité, qu’ils soient équipés d’un compteur Linky ou non.
Qui sera coupé et qui ne le sera pas ?
Les coupures, dans ce contexte, concerneront tout le monde : foyers, entreprises, collectivités, administrations… Le gouvernement a clairement indiqué que les réseaux de transport, les écoles, les réseaux de communication, etc., ne seront pas épargnés, ce qui va évidemment avoir des conséquences sérieuses sur le fonctionnement des infrastructures.
Seul un certain nombre de structures définies dans un arrêté du 5 juillet 1990 sont considérées comme « prioritaires » et ne pourront être privées d’électricité. C’est le cas des hôpitaux et des Ehpad, notamment, ainsi que d’un certain nombre d’entreprises et structures intéressant la sécurité nationale. La liste de ces structures prioritaires n’est pas publique. Rappelons que les installations d’eau et d’assainissement, malgré les demandes insistantes de la FNCCR, ne sont, de façon incompréhensible, toujours pas intégrées à cette liste prioritaire, alors que la coupure de leur alimentation en électricité pourrait poser des problèmes majeurs de santé publique.
Enedis n’est pas en mesure de « cibler » spécifiquement un hôpital, par exemple, c’est-à-dire de couper l’électricité dans un quartier mais de la conserver dans l’hôpital. Autrement dit, les quartiers qui abritent un hôpital ou une autre structure prioritaire seront épargnés par les coupures. Ce qui signifie, par exemple, qu’il n’y a quasiment aucun risque que la ville de Paris, du fait de la densité des établissements de santé qu’elle abrite, soit touchée par des coupures.
Quid des personnes en risque vital ?
Un problème spécifique se pose pour les personnes dont la vie dépend de l’alimentation en électricité. C’est que l’on appelle, dans le jargon d’Enedis, les PHRV (personnes en haut risque vital) : personnes placées sous appareil respiratoire, en dialyse à domicile, enfants nourris par intraveineuse, etc. Ces patients sont au nombre de quelques milliers seulement, mais ils font évidemment l’objet d’une attention particulière. Leur foyer pourra être coupé, mais ils seront systématiquement prévenus (par SMS, appel téléphonique, etc.) en amont pour pouvoir prendre leurs dispositions. En cas de non-réponse aux messages d’Enedis, l’opérateur prévoit des visites à domicile « pour prévenir de la coupure ».
Comment sera organisée l’information des clients ?
RTE, en lien avec les services météo, sera en mesure de prévoir un risque de coupure sur un territoire donné trois jours à l’avance. À J-2, les personnes à haut risque vital seront informées par tout moyen. La veille de la coupure, l’annonce précise des lieux sur lesquels interviendront les coupures sera faite à 18 h 30, et un communiqué de presse sera diffusé à 21 h 30. À partir de 18 h 30 donc, les clients pourront se rendre sur le site MonEcoWatt, saisir leur adresse et savoir s’ils seront touchés le lendemain (en espérant que le site sera calibré pour accueillir les centaines de milliers de connexion simultanées qui ne manqueront pas d’arriver).
Et l’information des maires ?
À J-3, au moment où paraîtra l’annonce d’une « vigilance renforcée » par RTE, les communes éventuellement concernées par une coupure seront directement informées par les équipes régionales d’Enedis. Mais ce n’est qu’à J-1 en fin de journée que les maires sauront avec certitudes si leur commune, ou une partie de leur commune, sera touchée par un délestage.
On ne connaît pas encore les détails des instructions envoyées hier aux préfets, mais il est déjà clair que les communes seront sollicitées dans ce dispositif, comme elles le sont lors des plans canicule ou grand froid, notamment pour apporter une attention particulière aux personnes fragiles.
Ces coupures, dans les communes, auront des répercussions très concrètes : arrêt des réseaux de transport fonctionnant à l’électricité, impossibilité d’allumer la lumière, voire le chauffage, dans les bâtiments publics, dont les écoles, impossibilité d’utiliser les outils informatiques en mairie… Pour ce qui concerne l’éclairage public et la signalisation (feux tricolores), les choses sont moins claires : l’arrêté du 5 juillet 1990 définissant les sites prioritaires qui ne peuvent être coupés en cas de délestage inclut « les installations de signalisation et d’éclairage de la voie publique jugées indispensables à la sécurité ». Lesquelles ? On l’ignore à cette heure.
Appels d’urgence : les maires appelés au secours
L’un des problèmes majeurs qui va se poser en cas de délestage est celui de l’accès aux numéros d’urgence. Il y a quelques semaines déjà, devant une commission du Sénat, la directrice générale d’Orange avait prévenu que « si les services mobiles sont éteints dans une zone géographique pendant deux heures, il n’y aura pas d’accès aux services de numéros d’urgence pendant un temps.»
Selon Europe 1, qui a pu avoir accès à une version de la circulaire de la Première ministre, celle-ci confirme que dans les périmètres soumis à un délestage, « les usagers ne pourront pas joindre les services de secours (numéros d’appels d’urgence 15, 17, 18, 115, 196) ». « La téléphonie mobile et internet ne fonctionneront pas dans les zones privées d’électricité », confirmerait Élisabeth Borne dans ce texte.
Le seul numéro qui pourrait rester joignable, dans certaines zones, est le 112, parce qu’il s’agit « d’un numéro accessible quel que soit l’opérateur, donc avec des chances bien plus élevées que l’appel soit acheminé, dès lors que la zone d’émission serait couverte par au moins un opérateur ». Les zones non couvertes par le 112 vont être identifiées dès maintenant, afin d’y prévoir, avec l’appui des maires, « des mesures palliatives ». La Première ministre demande aux préfets de solliciter les maires, pour qu’ils activent « des cellules de crise, en prévoyant en mairie ou dans des lieux prédéfinis une présence physique en capacité de relayer l’alerte aux services de secours, de santé et de sécurité, pendant la durée du délestage et de la coupure éventuelle du réseau téléphonique ».
Par ailleurs, Matignon souhaite que soient organisées des permanences de secours, notamment dans les commissariats et les gendarmeries, « afin de prendre en compte une demande de secours d’urgence par un citoyen » qui se déplacerait physiquement.
Il semble par ailleurs que le gouvernement envisagerait la fermeture des écoles, le matin, dans les secteurs touchés par un délestage.
Toutes ces informations sont encore au conditionnel et doivent être confirmées. Maire inforeviendra sur cette question dès la parution de la circulaire.
SOURCE : MAIREinfo – Édition du jeudi 1er décembre 2022