La question de l’assurabilité des communes est plus que jamais sur le devant de la scène. Mise en avant depuis des mois par l’AMF, cette question a semble-t-il trouvé l’oreille du Premier ministre lui-même, qui a récemment adressé un courrier aux maires, à ce sujet. « Je suis frappé par le nombre d’alertes qui me sont remontées (…) concernant les difficultés que rencontrent de nombreuses communes pour s’assurer », écrivait celui qui est toujours maire de Pau, le 17 février. « Pour prendre la mesure réelle de ces difficultés, j’ai besoin que vous me signaliez directement les refus auxquels vous êtes confrontés lorsque vous tentez de renouveler vos contrats d’assurance. » François Bayrou demande aux maires de lui envoyer directement les signalements à l’adresse assurances.collectivites@pm.gouv.fr et les assure que cette question « sera traitée dans les meilleurs délais ». Sans contester que cette démarche prouve l’intérêt du Premier ministre pour la question, on peut douter en revanche que l’invitation faite aux maires d’envoyer des mails permette de faire le tour du problème. Il pourrait sembler plus efficace, par exemple, de demander aux assureurs de donner leurs chiffres sur le nombre de contrats qu’ils ont résilés ou d’appels d’offre auxquels ils refusent de répondre.
Autre point notable dans la courte lettre du Premier ministre aux maires : il explique que les pistes identifiées par la mission Chrétien-Dagès, si elles sont intéressantes, lui semblent insuffisantes pour régler les difficultés « à court terme ». Il dit donc avoir donc demandé à Bercy de proposer « des solutions complémentaires ». Or, selon nos informations, le plan préparé par le gouvernement sur ce dossier, qui devrait être rendu public dans les prochains jours, ne contient à ce stade aucune « mesure complémentaire », et reprend l’essentiel des propositions du rapport Chrétien-Dagès. Est-ce à dire que le Premier ministre considère déjà ce plan comme obsolète ?
Des exemples parlants
En tout cas, du côté des élus auditionnés par le Sénat avant-hier, une solution intéressante serait d’aller vers une nouvelle forme d’assurance publique pour les collectivités. Durant cette audition, une demi-douzaine de maires ont été invités à témoigner de leurs difficultés en matière d’assurance.
Didier Lechien, maire de Dinan, a par exemple décrit « la réticence des assureurs à accompagner » sa commune. En mars 2023, l’assureur de la commune a annoncé son intention de résilier le contrat de dommages aux biens. « Nous avons lancé un appel d’offres qui s’est révélé infructueux, puis, en septembre, nous sommes passés à une procédure de gré à gré ». Résultat : « Une fin de non-recevoir. » Le maire a rappelé qu’avant cet épisode, la prime annuelle avait « sextuplé » entre 2018 et 2020, passant de 43 000 à 287 000 euros ! Pour Didier Lechien, l’explication de cette situation est simple : « Pour les assureurs, le marché des collectivités est un marché non rentable. » Résultat final : aujourd’hui (depuis le 1er janvier), la commune de Dinan est assurée « par deux assureurs étrangers, un américain et un japonais ».
Même situation ubuesque à Breil-sur-Roya (Alpes-Maritimes), commune dévastée en 2020 par la tempête Alex, qui avait fait « 25 millions d’euros de dégâts sur la commune ». Le maire, Sébastien Olharan, a rappelé devant les sénateurs qu’une grande partie de ces dégâts n’a toujours pas été indemnisée par les assureurs. Mais de surcroît, l’assureur de la commune (la Smacl) a annoncé au maire que le contrat serait résilié fin 2023. « Aucun autre assureur n’a accepté de nous faire une offre », et là encore la procédure de gré à gré s’est révélée infructueuse. La commune s’est donc retrouvée sans assureur début 2024. Le Bureau central de tarification (BCT), saisi par le maire, a alors proposé un contrat couvrant … les 15 premiers jours de l’année, pour 5 400 euros, alors que la commune payait jusque-là « 15 000 euros pour l’année ». Par la suite, le BCT a réussi à obliger « 5 assureurs à se partager 20 % du risque de la commune », dans des conditions léonines : le contrat est passé de 15 000 à 100 000 euros, la franchise a explosé, passant à 500 000 euros, et les garanties ont été fortement diminuées.
Les témoignages se sont multipliés : Charlotte Goujon, maire de Petit-Quevilly (Seine-Maritime), a vu elle aussi son contrat résilié, cette fois au lendemain des émeutes de l’été 2023, qui ont durement touché sa commune – une école maternelle en partie détruite. La maire a réussi à convaincre son assureur de rester un an de plus, puis, en passant par un courtier, a fini par trouver un nouvel assureur, avec une prime multipliée par 2,5 et une franchise passée de 100 000 à un million d’euros.
Une structure publique ?
Charlotte Goujon a donc plaidé devant les sénateurs pour « la création d’une structure publique ou parapublique qui permettrait aux collectivités qui se retrouvent sans solution de pouvoir réussir à trouver une assurance. » Elle a prévenu que la solution de l’auto-assurance était « la pire », puisqu’elle forcerait les collectivités, faute de moyens, à devoir renoncer à de nombreux investissements.
Même avis de Vincent Bony, maire de Rive-de-Gier (Loire) : « Si le marché ne fait pas son affaire et n’est pas capable d’apporter une réponse aux collectivités locales », peut-être faut-il « une structure publique ». Vincent Bony, en passant, a rappelé que le système assurantiel ne connait pas vraiment de difficultés financières : « Fin septembre 2024, l’encours des placements financiers des assureurs atteint 2 731 milliards d’euros, en hausse de 64 milliards d’euros sur un trimestre ! ».
Sébastien Olharan a, également, demandé une réflexion « un nouveau système dans lequel le privé assure le privé et le public assure le public, un système mutualiste dans lequel nos collectivités locales mettraient dans un pot commun au lieu de payer des cotisations à des assureurs privés pour partager le risque à l’échelle du territoire national ».
Bernard Delcros, le président de la délégation aux collectivités territoriales du Sénat, s’est dit parfaitement en phase avec les propos des maires : « Les collectivités ne sont pas responsables des émeutes, elles gèrent des services publics. On ne peut pas imaginer de laisser la situation se dégrader encore » sur les questions d’assurances. « Ou on trouve des moyens pour que les assureurs privés assurent les collectivités dans des conditions acceptables, (…) ou on trouve une solution publique. Il faut explorer toutes les pistes. »
Tentatives de justification
La solution d’une structure publique, en tout cas, ne convainc pas Édouard Veillefond, directeur de la Caisse centrale de réassurance, qui est intervenu lors d’une deuxième audition. Celui-ci a d’abord justifié, « malheureusement », un « mouvement de rééquilibrage du marché », qui se traduit par une augmentation des primes et des franchises, mais a estimé que cette situation était « conjoncturelle ». On notera également les propos étonnants du directeur de la CCR, en réponse aux élus qui avaient, lors de la précédente audition, plaidé pour un traitement à part des collectivités locales sur la question assurantielle, eu égard à leurs missions de service public. Pour Édouard Veillefond, l’argument est non recevable : « Les collectivités locales sont obligées de se comporter comme des entreprises. (…) Il n’y a pas le choix. Malheureusement, du point de vue de l’assurance, c’est la même chose. (…) Si ça marche pour les entreprises, il n’y a pas de raison que ça ne marche pas pour les collectivités. » Voilà qui est éclairant sur la vision du monde des assurances sur les collectivités locales : des entreprises comme les autres.
Sur l’éventualité d’un « régime public », Édouard Veillefond s’est montré peu enthousiaste. D’abord, « il y aura toujours une surprime, une extension de garantie obligatoire, donc ça ne sera pas gratuit ». Par ailleurs, « il faudrait une mutualisation maximale, chacun devrait contribuer, entreprises, collectivités et particuliers ».
Arnaud Chneiweiss, Médiateur de l’assurance, a lui aussi cherché à relativiser le problème. « Combien de communes sont vraiment en difficulté ? », a-t-il demandé, estimant qu’il y a sans doute « très peu de communes qui ne trouvent pas d’assureurs ». Il y a certes « des communes où le maire est un peu démuni, où il a sans doute besoin d’un peu d’aide ». Avec un certain franc-parler, il a expliqué que pour que les assureurs viennent, il faut que le risque soit « appétissant ». Il faut donc réfléchir à la façon de rendre « le risque plus appétissant ».
Pour le Médiateur de l’assurance, il faut surtout que les communes puissent faire appel à des consultants pour les aider à trouver le bon contrat. Il faut permettre une « assistance financière de quelques milliers d’euros » pour les communes les plus en difficulté, « pour les aider à payer un consultant qui va les aider à structurer leur offre ». « Mais qui va payer cette assistance ? », a-t-il interrogé, évoquant au passage… l’AMF !
Enfin, plutôt que de créer une nouvelle structure publique ou parapublique, Arnaud Chneiweiss a rappelé que « l’État possède une très grande entreprise d’assurance qui est publique : ça s’appelle CNP Banque Postale. » Et de conclure à l’attention des sénateurs : « Peut-être pouvez-vous lui suggérer de s’intéresser à ce marché ? »
SOURCE : MAIREinfo – Édition du jeudi 6 mars 2025