Après son livre sur les Ehpad du groupe Orpea, Les Fossoyeurs, le journaliste Victor Castanet publie Les Ogres, qui pointe de graves dysfonctionnements dans les crèches privées à but lucratif. Il décrit des faits graves et parfois glaçants de maltraitance (parfois physique), des conditions de travail déplorables pour les salariés (locaux à peine chauffés, matériels défectueux, temps de travail illégal…). L’ouvrage pointe à la fois les crèches en entreprise (dont le nombre a explosé depuis qu’en 2004, le gouvernement a accordé une forte réduction d’impôt à celles qui en installaient) et les crèches en délégation de service public. Celles-ci sont également nées en 2004, lorsqu’il est devenu possible pour les collectivités de déléguer la gestion d’une crèche à une entreprise privée.
« Faire vivre un service public de qualité »
Selon l’auteur, des maires ont fait le choix de la DSP pour deux raisons : d’abord pour « réduire sensiblement les délais d’ouverture » (« trois à cinq ans » dans le public contre « six mois » dans le privé). Ensuite pour « réaliser des économies sur le budget communal » : « Le tarif du berceau, [en DSP], tourne autour des 7 000 euros annuels, tandis qu’en gestion directe il leur fallait bien souvent dépenser plus de 10 000 euros. » Des maires auraient alors « fait le choix du moins cher », et l’auteur accuse clairement certains maires d’avoir fermé les yeux sur les dysfonctionnements constatés, pour faire des économies.
Interrogés sur ce point lors de la conférence de presse de rentrée de l’AMF, mardi 17 septembre, les responsables de l’association ont évidemment fermement condamné toute violence dans les établissements d’accueil du jeune enfant (EAJE), qui sont « intolérables », a déclaré David Lisnard, président de l’AMF : « Rien n’est pire que la maltraitance de personnes fragiles, que ce soit en Ehpad ou en crèche. Les cas qui peuvent exister doivent être identifiés, analysés, et les personnes sanctionnées. » Philippe Laurent, maire de Sceaux et vice-président de l’association, a néanmoins précisé que les cas mis en avant dans l’ouvrage de Victor Castanet, fort heureusement, ne correspondent pas à la réalité de l’ensemble des crèches. Le maire de Sceaux a surtout expliqué qu’à côté des crèches en DSP dont « le cahier des charges peut être d’inégale qualité », « l’immense majorité des crèches sont publiques, gérées en régie directe avec des agents publics, des normes extrêmement précises et contraignantes – et c’est tant mieux ».
Philippe Laurent a également fait remarquer que les chiffres évoqués dans Les Ogres, en matière de coûts, sont « inférieurs à la réalité » : il parle, on l’a dit, de 10 000 euros par place, quand l’AMF estime que le coût se situe plutôt autour de 16 000 euros par an – le directeur général de la Cnaf a d’ailleurs récemment lancé une alerte sur ce point récemment. « On sait tous, a poursuivi le maire de Sceaux, qu’à 5 000 euros il est impossible d’avoir une prestation de qualité, vu les normes d’encadrement. » Philippe Laurent a reconnu que « face à des difficultés budgétaires, certaines communes ont été amenées à procéder à des délégations de service public ». Mais le « souhait » des maires, c’est « de pouvoir faire vivre un service public de qualité », dans un contexte marqué à la fois par la hausse des prix (repas, énergie) et par la carence de personnel. « C’est un débat qu’il faudra continuer à avoir, notamment sur le plan du statut et de la rémunération des personnels. »
Renforcer la formation et soutenir les services de la PMI
David Lisnard, après avoir rappelé l’engagement des municipalités dans la mesure où « il n’y a pas de compétence obligatoire sur l’accueil de la petite enfance », a souhaité que les exemples choquants cités par Victor Castanet « ne masquent pas une réalité beaucoup plus globale, celle de conditions d’accueil de très bon niveau dans les communes de France, alors qu’il n’y a pas de compétence obligatoire et alors qu’il manque aujourd’hui 10 000 professionnels formés ». Ironiquement, le maire de Cannes a fait remarquer qu’il est ici reproché aux maires, qui feraient le choix du « low cost », « de ne pas assez dépenser, au moment même où on nous reproche par ailleurs de trop dépenser ». C’est une boutade, certes, mais elle décrit une réalité : dans un contexte marqué par la baisse des dotations et des moyens dont disposent les communes, à quoi s’ajoute une pression permanente exercée sur les maires pour qu’ils diminuent leurs dépenses de fonctionnement, il paraît inévitable que le souci d’économies conduise certains à faire de mauvais choix.
Reste à savoir comment éviter les dérives choquantes dont le livre de Victor Castaner se fait l’écho. Les membres du groupe de travail Petite enfance de l’AMF ne cessent de le répéter : lorsque les élus font le choix de la DSP, ils doivent porter une attention extrême à la rédaction du cahier des charges – qui peut, souligne en particulier l’AMF, « prévoir la possibilité pour la commune de conserver la maîtrise de l’attribution des places ».
L’AMF rappelle également qu’elle n’a jamais privilégié un mode d’accueil par rapport à un autre : la demande n’étant « pas uniforme », l’association plaide pour « une grande diversité de modes d’accueil (public, associatif, privé, collectif, individuel, préscolarisation…), tous soumis aux mêmes exigences de qualité, afin de répondre à la diversité des besoins des parents, leur permettant ainsi de concilier vie familiale et vie professionnelle/personnelle ».
Rappelons que l’AMF est montée au créneau, ces dernières années, pour éviter que la pénurie de professionnels soit artificiellement résolue par une baisse du niveau de qualification des professionnels, comme le souhaitait à un moment le gouvernement. L’association plaide au contraire « pour le maintien de diplômes de la petite enfance en crèche et la création d’une véritable filière des métiers de la petite enfance et le développement de filières de formation plus accessibles ».
L’association souligne également le rôle indispensable des services de la PMI (Protection maternelle et infantile), « référence incontournable pour ce qui concerne la qualité de l’accueil », mais souffrant d’un cruel manque de moyens pour effectuer leurs missions. Elle appelle à un renforcement des moyens alloués aux services de la PMI afin qu’ils puissent assurer leurs missions de contrôle, renforcées par l’article 18 de loi du 18 décembre 2023 pour le plein emploi. Cet article prévoit par ailleurs que tout nouveau projet de création, d’extension ou de transformation d’un établissement devra désormais faire l’objet d’un avis favorable de l’autorité organisatrice (commune et/ou EPCI). Il est également prévu que les autorités organisatrices soient destinataires des décisions ainsi que des résultats des contrôles réalisés par les PMI.
SOURCE : MAIREinfo – Édition du jeudi 19 septembre 2024