C’est au début du mois de décembre que les ministres chargés des Comptes publics et des Collectivités territoriales avaient confié à un maire, Boris Ravignon (Charleville-Mézières), et une présidente d’EPCI, Catherine Vautrin (Grand Reims), une mission sur le « millefeuille territorial ». Entretemps, Catherine Vautrin est devenue ministre, et c’est donc Boris Ravignon seul qui signe ce rapport – établi avec le concours de plusieurs inspections générales.
La mission consistait à s’interroger sur « l’enchevêtrement des compétences » entre l’État et les collectivités elles-mêmes et le coût de celui-ci ; et à dresser un bilan du coût et de la pertinence des normes appliquées aux collectivités.
Pas de suppression de strate
Six mois plus tard, après avoir mené des dizaines d’auditions et mené une enquête auprès de 200 collectivités, Boris Ravignon a rendu un rapport d’une centaine de pages (sans les annexes). Avec une double conclusion claire : premièrement, le débat sur la suppression d’un niveau de collectivité n’a pas lieu d’être ; deuxièmement, il existe bien un enchevêtrement de compétences entre l’État et les collectivités, et celui-ci a un « coût considérable » – chiffré pour la première fois de façon sérieuse – qui s’élève à quelque 7,5 milliards d’euros. La mission appelle donc à « une répartition plus claire et plus stricte des responsabilités et des compétences ».
La première de ces conclusions semble répondre directement aux propos tenus en mars dernier par le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, qui expliquait devant une commission parlementaire : « Est-ce que vous trouvez légitime, juste et raisonnable que nous gardions encore un tel empilement d’échelons d’administrations locales ? Pour moi, la réponse est non. » Le chef de l’État lui-même partage cette logique, puisqu’il déclarait, en novembre dernier, en nommant Éric Woerth à la tête d’une autre mission sur la décentralisation, qu’il fallait réfléchir « en vue de réduire le nombre de strates décentralisées, aujourd’hui trop nombreuses ».
Boris Ravignon répond de façon lapidaire à ces arguments : « La France n’a pas une catégorie de collectivités à supprimer, une strate d’élus à liquider pour que tout s’arrange, pour remédier à l’impuissance publique, pour combler les déficits. » Fermez le ban.
La dépense locale est « maîtrisée »
Le rapport du maire de Charleville-Mézières prend également une saveur particulière au moment où la majorité présidentielle semble vouloir lancer une offensive en règle pour mettre sur le dos des élus locaux la responsabilité du déficit public, voire de la baisse du pouvoir d’achat des Français.
Rappelons que la semaine dernière, Emmanuel Macron a expliqué qu’il n’y avait pas de dérapage budgétaire du côté de l’État, mais que ce sont les élus locaux qui laissent filer la dépense. Et que cette semaine, c’est le député Renaissance du Gers, Jean-René Cazeneuve, qui expliquait dans une note que les élus locaux, en « matraquant » fiscalement leurs administrés, mettent à mal la politique de réduction des impôts du gouvernement.
Sur tous ces points, Boris Ravignon bat en brèche la vision de la majorité et rejette toute idée « d’explosion de la dépense publique locale » : « La dépense publique des collectivités apparaît maîtrisée », peut-on lire dans le rapport. Ces dépenses ont certes progressé un peu plus vite que le PIB (d’un point), mais comment pourrait-il en être autrement, argumente Boris Ravignon, dans une période « au cours de laquelle de nombreux transferts de compétences et donc de dépenses ont été opérés de l’État vers les collectivités et leurs groupements » ? Le rapporteur note par ailleurs qu’en matière de dépense publique locale, la France est plutôt dans le bas du tableau européen, avec une part de 20 % seulement dans la dépense publique totale (contre 34 % en moyenne européenne et… 67 % au Danemark). Ce qui, de manière contre-intuitive, fait de la France un des pays les moins décentralisés d’Europe.
Signalons aussi que le maire de Charleville-Mézières prend également le contrepied de Jean-René Cazeneuve qui affirmait, dans sa note récente, que le pouvoir de taux des élus locaux reste important, contrairement à ce qu’affirment toutes les associations d’élus. Le rapporteur se place plutôt du côté de celles-ci quand il affirme que les réformes des 20 dernières années ont « spectaculairement réduit la fiscalité locale, celle sur laquelle les élus disposaient d’un pouvoir de taux ». Il estime cependant que « l’autonomie financière » des collectivités « a été respectée », notamment pour les communes qui disposent encore de davantage de marges de manœuvre que les départements et les régions.
Au final, Boris Ravignon ne rejette pas l’idée d’une « participation » des collectivités à la réduction des dépenses publiques. Mais il estime que celle-ci devra être modérée, « respectant la responsabilité limitée des collectivités » dans la dérive des comptes publics. Rappelons toutefois que les collectivités ont déjà, et très lourdement, participé à la réduction des dépenses publiques, en se voyant supprimer, depuis 2014, plusieurs dizaines de milliards d’euros de DGF, qui ne leur ont jamais été rendus.
« L’enchevêtrement des compétences » coûte près de 5 milliards par an aux communes
Sur la question du partage des compétences, au centre de ce rapport, la conclusion est claire : « Le partage complexe des compétences entre l’État et les collectivités est la source d’un enchevêtrement des interventions et altère la lisibilité de l’action publique. » Il subsiste encore de nombreuses compétences partagées entre l’État et les collectivités ou entre les collectivités elles-mêmes (culture, sport, tourisme…) ; et même les compétences attribuées à un niveau de collectivité « demeurent partagées dans les faits ». Quant à l’État, il « demeure très présent » : tout comme l’AMF qui ne cesse depuis plusieurs années de dénoncer une « recentralisation rampante », Boris Ravignon affirme que « l’État n’a de cesse de revenir sur des politiques parfois décentralisées depuis de nombreuses années ». Par le biais de la contractualisation, « il entend continuer à orienter l’action des collectivités dans le champ des politiques décentralisées ».
L’un des aspects les plus intéressants du rapport est que ses auteurs sont parvenus à chiffrer le coût de l’enchevêtrement des compétences. Il s’élèverait à 7,4 milliards d’euros, portés en très grande partie par les collectivités elles-mêmes (6 milliards d’euros). Il s’agit de dépenses de fonctionnement, calculées en « temps annuel d’agent public ». Ce sont les communes qui payent le plus lourd tribut de cette situation, avec une dépense estimée à 4,8 milliards d’euros. Viennent ensuite les intercommunalités, avec presque 700 millions d’euros. L’importance de cette part communale est clairement expliquée dans le rapport – elle tient au nombre de communes : « Chaque heure consacrée par commune à se coordonner avec d’autres niveaux de collectivité ou avec l’État est à démultiplier par près de 35 000 ».
Il est donc nécessaire, selon Boris Ravignon, de se livrer à présent à un vaste exercice de « clarification des responsabilités, des compétences et des moyens ». La mission fait, dans ce domaine, un certain nombre de propositions, dont certaines sont détaillées dans l’article ci-dessous.
SOURCE : MAIREinfo – Édition du jeudi 30 mai 2024