Alors que la forte hausse de la trésorerie des collectivités locales, ces dernières années, ne cesse de susciter « interrogations et commentaires », La Banque postale a décidé de se pencher sur la question, dans une étude publiée vendredi, dans laquelle elle tente de recenser les multiples causes de cette progression et « d’apporter les nuances qui s’imposent ».
« La montée en puissance [de cette trésorerie] interroge les spécialistes et le monde public depuis quelques années. Pour les uns, cette masse financière est assimilée à un trésor de guerre et un manque d’emplois. Pour les autres, elle démontre une gestion rigoureuse et anticipatrice des aléas », rappelle le président du comité d’orientation des finances locales de La Banque Postale, Christophe Jerretie, qui estime, pour sa part, percevoir « probablement une part de vérité dans les deux visions ».
Plus petite est la commune, plus la trésorerie progresse
Le niveau des dépôts au Trésor des collectivités locales et des établissements publics locaux « traduit-il une bonne santé financière, ou reflète-t-il une pression fiscale excessive et un recours intempestif à l’endettement ? », s’interroge ainsi la banque.
Au global, rappelle-t-elle, la trésorerie des collectivités et de leurs établissements est en forte hausse de manière quasi continue depuis une dizaine d’années puisque son montant a doublé entre 2010 et 2022 pour atteindre les 68 milliards d’euros.
Toutefois, « le rapprochement de ces montants du nombre de jours de dépenses correspondant permet de relativiser un peu cette progression qui passe alors de 46 à 71 jours de trésorerie, soit une hausse de 54 % », nuancent les auteurs de l’étude. Pour le dire autrement, si le montant de la trésorerie a presque doublé en volume depuis 2010, cette progression n’est que de 54 % lorsqu’elle est ramenée en nombre de jours de dépenses.
Cette progression reste, en outre, très variable en fonction des diverses collectivités.
Près de la moitié de cette trésorerie est ainsi celle des communes. Cette dernière est passée de 18 à 32 milliards d’euros entre 2010 et 2022, ce qui représente « 33 jours de dépenses supplémentaires » depuis 2010 (passant de deux mois à trois mois de dépenses), constate La Banque postale qui observe également « une baisse significative à chaque fin de mandat (2013 et 2019) » qui rappelle « la logique de cycle ».
Dans le même temps, les groupements à fiscalité propre ont vu leur niveau de trésorerie plus que doubler durant cette période passant de 6 à 14 milliards d’euros, tandis que les syndicats ont vu la leur progresser d’environ 50 % pour passer à 8 milliards d’euros (bien que leur nombre ait été divisé par plus de deux en 13 années). Les plus grandes collectivités (départements, régions et CTU) ont vu, elles, le montant de leur trésorerie tripler.
Par ailleurs, plus la taille de la commune est petite et plus le niveau de trésorerie a progressé au cours des treize années : « En 2010, la trésorerie des communes de moins de 250 habitants était ainsi de 243 jours de dépenses contre 22 jours pour celles de plus de 100 000 habitants, en 2022, elle a progressé de 117 jours pour les premières et d’un jour pour les secondes », notent les auteurs de l’étude, qui soulignent que « l’année 2020, confinement oblige, semble avoir eu un impact significatif pour l’évolution de la trésorerie des communes rurales ».
« Le ralentissement de services structurellement déficitaires (école, restauration scolaire, manifestation, etc.) a réduit les dépenses de ces derniers. Ce qui ne semble pas avoir été le cas pour les communes urbaines dans lesquelles des mesures spécifiques (comme la mise en place des centres de vaccination) ont réorienté certaines dépenses », précisent-ils.
Incertitudes budgétaires et fiscales
S’interrogeant sur les raisons de la progression continue des excédents depuis dix ans, La Banque postale estime qu’une « première explication » pourrait venir « du contexte d’incertitudes budgétaires et fiscales ayant pu conduire les gestionnaires locaux à une relative prudence ».
Et La Banque postale d’énumérer : baisse des dotations, suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales, « perte de l’essentiel du levier fiscal pour les départements dont les recettes de DMTO sont de surcroît de plus en plus difficiles à anticiper » et suppression annoncée de la CVAE. À cela s’ajoutent « la gestion de la crise de la Covid, la crise énergétique et le retour de l’inflation (ou encore) la pression sur l’effort considérable attendu des collectivités locales en matière de transition écologique ».
En cause également, le contexte économique et financier des dix dernières années qui a été marqué, jusqu’en 2021, par une faible inflation et une forte diminution des taux d’intérêt « minimisant le coût d’une « surmobilisation » des emprunts ».
« Forte baisse » en 2023
S’il y a bien eu une hausse continue jusqu’en 2022, une baisse semble pourtant s’amorcer depuis 2023.
Les dernières données font ainsi état d’une « forte baisse » de la trésorerie des collectivités locales de 4,2 milliards d’euros. Un recul porté principalement par les départements (- 3,1 milliards d’euros) « en lien avec la dégradation de leur situation budgétaire et la nécessité de trouver des marges de manœuvre financière », et dans une moindre mesure par les régions et les communes qui enregistrent un repli de 0,9 et 0,8 milliard d’euros respectivement.
« Cette baisse observée en 2023 pourrait marquer la fin d’un cycle de hausse et annoncer une période d’utilisation accentuée de la trésorerie par les collectivités locales dans un contexte de taux d’intérêt plus élevés mais surtout de besoin de financements nouveaux pour faire face notamment au mur d’investissements pour le climat », prévoient les auteurs de l’étude.
Sous l’effet de la remontée des taux d’intérêt depuis 2022, qui ont mécaniquement augmenté le taux moyen de la dette locale, La Banque postale observe un « retour en grâce » de la « trésorerie zéro » dans « certaines grandes collectivités et en particulier les régions ».
« Les marchés financiers anticipant un desserrement de la politique monétaire de la BCE dans le milieu de l’année 2024, il conviendra d’observer si ce retour en grâce de l’utilisation de la trésorerie zéro n’aura finalement été qu’un feu de paille », met-elle en garde, en notant toutefois « qu’il est peu probable que les taux d’intérêt reviennent au niveau de ceux de 2020 et de 2021 » et qu’il est donc « possible que l’utilisation de la technique de la trésorerie zéro par les grandes collectivités, perdure dans le temps ».
SOURCE : MAIREinfo – Édition du mardi 9 avril 2024