« Il y a urgence ! Les difficultés sont grandissantes et dès le 1er juillet prochain, un nombre important encore de collectivités risquent de se trouver en grande difficulté, pour ne pas dire dans l’impasse », après des résiliations ou des fins de contrat, s’inquiète le rapporteur de la mission d’information sur les problèmes assurantiels des collectivités locales du Sénat, Jean-François Husson. Le sénateur de la Meurthe-et-Moselle, agent d’assurance de profession, a mené, en compagnie de 16 autres sénateurs, une mission dans « des délais très contraints » (la mission a commencé ses travaux le 30 janvier 2024) pour tenter d’apporter des solutions « pertinentes » et à très court terme aux collectivités.
Phénomène d’ampleur
Les travaux « confirment l’ampleur des problèmes d’assurance des collectivités », a indiqué Jean-François Husson lors de la présentation de son rapport à la presse le 28 mars. La mission a recueilli 713 contributions lors d’une consultation en ligne des élus entre le 31 janvier et le 28 février : absence de réponse aux appels d’offres (pour 24 % des répondants), tarifs élevés, hausse des montants des primes (94 % ont subi une hausse de leurs cotisations) et des franchises (24 % des répondants), difficultés dans l’exécution des contrats (48 % évoquent une dégradation de la relation avec leur assureur au cours des dix dernières années).
Depuis le 1er janvier 2023, 20 % des collectivités répondantes ont subi une résiliation de contrat à l’initiative de l’assureur, souligne le rapport.
La mission a relevé que l’assurance la plus problématique concernait le « dommage aux biens » qui est une assurance non obligatoire mais essentielle. 9 % seulement des collectivités répondantes pratiquent l’auto-assurance contre 91 % qui ont recours à des contrats d’assurance dommages aux biens.
Si le problème assurantiel des collectivités est général, les communes de plus de 5000 habitants «subissent plus fortement la dégradation de leur relation avec leur assureur », selon le rapport.
Les assureurs ont conduit les collectivités dans une impasse
Mais les sénateurs ont été surpris par les causes réelles de cette crise : « Les émeutes de l’été 2023 ou les événements climatiques récents n’ont été que le révélateur d’un problème préexistant. Le vrai fait préjudiciable aux collectivités est en fait l’atrophie du marché de l’assurance avec une quasi-absence totale de concurrence, liée uniquement au comportement des assureurs et absolument pas aux collectivités ou à la hausse de la sinistralité de ces collectivités. Sans concurrence, les collectivités se retrouvent dans une forme d’impasse, totalement soumises aux décisions de leur assureur voire à l’absence d’assureurs. »
Cette « atrophie du marché » résulte, selon les travaux de la mission, d’une « politique très agressive de la Smacl, engagée dans une « course au volume » pour devenir numéro un sans pour autant disposer d’une gestion suffisamment saine pour le lui permettre, et d’une guerre des prix sous l’influence notable d’assureurs européens qui ont pénétré intempestivement ce marché avant de s’en désengager. » La conséquence aujourd’hui est « un marché divisé en deux segments, dont chacun est dominé par un unique assureur : Groupama pour les collectivités de moins de 10 000 habitants, Smacl Assurances SA pour les autres », adossée aujourd’hui à la Maif.
Problème structurel
Autrement dit, le problème rencontré aujourd’hui par les collectivités provient, selon la mission, de la structure même du marché des assurances et pas d’une hausse de la sinistralité, comme les assureurs ont pu le laisser entendre jusqu’à maintenant. Les chiffres annoncés le 27 mars par France Assureur (la fédération des assurances) semblent confirmer les conclusions de la mission sénatoriale : en 2023, les catastrophes climatiques en France ont coûté 6,5 milliards d’euros. Certes ce coût augmente, mais il reste inférieur à l’année 1999, marquée par les tempêtes Lothar et Martin (13,8 milliards d’euros en euros constants) et à l’année 2022 (10 milliards d’euros).
Les réassureurs interrogés par la mission se sont montrés « confiants », aux dires du rapporteur. « Ils ont durci leurs conditions en termes de protection et de sécurité », pour pouvoir garantir une prise en charge des sinistres. Mais ils ont aussi expliqué que le marché existe et « qu’il est cyclique ». En revanche, ils ont alerté les sénateurs sur d’autres risques : événements climatiques, risques cyber, émeutes et mouvements populaires, ces deux derniers risques étant « insuffisamment matures, c’est-à-dire difficiles à maîtriser et pour lesquels on ne connaît pas l’ampleur. Sur les émeutes et mouvements populaires, je dirais que c’est l’affaire de tous », estime Jean-François Husson, car « dans des pays qui sont en bonne santé, où il y a une dynamique, il n’y a pas de tensions sociales ».
Actions des collectivités
Partant de ces analyses, la mission fait quinze propositions (adoptées à l’unanimité le 27 mars par la commission des Finances du Sénat), dont la plus emblématique est d’étendre de toute urgence les pouvoirs du Médiateur de l’assurance (avec un périmètre semble-t-il plus large que l’option activée à l’automne 2023 par le gouvernement). « Il faut lui permettre d’intervenir plus vite et mieux. C’est l’interlocuteur idéal pour remettre les acteurs autour de la table et améliorer les relations. Il peut reconsulter le marché, desserrer l’étau. Il pourrait être saisi par les collectivités et aurait une obligation de moyens pour trouver une solution d’assurance aux collectivités. »
La mission souhaiterait également obliger les assureurs à signaler leur intention de résilier un contrat au moins six mois avant l’échéance et à indiquer le motif.
Les collectivités, si elles sont les victimes, peuvent aussi parvenir à améliorer la situation. Elles « doivent mettre en place des actions visant à mieux connaître leur patrimoine à assurer, à mieux identifier leurs risques et à les prévenir le mieux possible, afin de négocier des marchés au plus près de leurs besoins réels et au meilleur coût », préconise le rapport. Elles doivent aussi accepter davantage le système des franchises pour « permettre le recentrage des contrats sur les principaux risques, la diminution de leur coût » et gérer elles-mêmes les petits risques. Elles ont également un gros travail à faire sur la prévention et avec les agents dans l’utilisation, par exemple, des véhicules.
L’État doit aussi prendre sa part, selon la mission. La direction des affaires juridiques des ministères de l’Économie et des Finances pourrait actualiser son guide sur la passation des marchés publics, donner des conseils pour assurer un meilleur dialogue avec les assureurs dans le cadre de la commande publique. En attendant, la mission a pris les devants et publie un Guide pratique à destination des collectivités pour la passation des marchés publics d’assurance.
Dotation de solidarité
Sur le plan financier, l’État pourrait piocher dans la réserve des 40 millions d’euros provisionnés pour la dotation de solidarité aux collectivités victimes d’évènements climatiques ou géologiques (DSEC). Cette dotation pourrait être élargie aux cas d’émeutes. « Ce serait une opération neutre pour les finances de l’État puisque ces 40 millions inscrits au budget de l’Etat ne sont quasiment jamais dépensés », suggère Jean-François Husson.
Charge aussi à l’État de reprendre des propositions de la mission sénatoriale et de la mission attribuée par le gouvernement à Alain Chrétien, maire de Vesoul, et à Jean-Yves Dagès, ancien président de la fédération nationale Groupama. Le rapport de ces derniers est attendu début avril.
Les sénateurs souhaitent revoir les conditions de fonctionnement du marché des assurances. Outre l’adoption du rapport de la mission d’information, la commission des Finances du Sénat a donc également saisi l’Autorité de la concurrence pour que celle-ci donne son avis et propose éventuellement « des mesures à même de remédier aux éventuels dysfonctionnements identifiés, et en particulier celles permettant de stimuler le jeu concurrentiel dans le secteur des assurances des collectivités territoriales », peut-on lire dans le courrier de saisine.
SOURCE : MAIREinfo – Édition du vendredi 29 mars 2024