Un manque de moyens, une implication territoriale « très variable », mais des dispositifs plutôt « satisfaisants bien qu’inégaux ». Dans un rapport publié mercredi, la Cour des comptes fait un premier bilan du fonctionnement de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), créée en 2020 afin d’aider les collectivités à mener à bien leurs projets.
Alors que sa présence sur l’ensemble du territoire est assurée par les préfets de départements, la Cour estime que « l’État doit s’engager à stabiliser son organisation et son fonctionnement et à renforcer ses relais locaux, dont la portée et l’efficacité devraient être réévalués à terme ».
« Adhésion des collectivités »
Placée sous la tutelle des ministres chargés de l’aménagement du territoire, des collectivités territoriales et de la politique de la ville, cet établissement public doit notamment faciliter l’accès des petites collectivités à l’ingénierie et déployer différents programmes de cohésion des territoires, tels que « Action cœur de ville », « Petites villes de demain » ou encore les « Maisons France service ».
Très larges, ses politiques recouvrent « le pilotage de la politique de la ville, les dispositifs de l’État en faveur des villes, de la ruralité et de la montagne, le déploiement du très haut débit, l’accès au numérique, les politiques d’accès aux services publics et le soutien à la création de tiers lieux », tout en étant « autorité de coordination pour la gestion des fonds européens » et en exerçant « des missions d’observation et de connaissance des territoires », rappelle la Cour.
« Malgré la brièveté de la période de mise en œuvre et les difficultés auxquelles l’ANCT a été confrontée » (son déploiement a notamment été perturbé par la crise sanitaire, survenue moins de trois mois après sa création), celle-ci a rencontré « l’adhésion des collectivités territoriales, même si de nombreuses améliorations restent à concrétiser », reconnaissent les magistrats financiers.
Des préfets sans « aucun moyen » supplémentaire
Parmi elles, le rôle des préfets en tant que délégués territoriaux de l’Agence est pointé du doigt. Ces derniers ont une implication dans leurs missions qui restent « très variable » d’un département à l’autre. Une situation qui « peut induire des différences de traitement entre les territoires », constatent-ils.
Bien que ceux-ci sont tenus de réunir au moins deux fois par an un comité local de cohésion territoriale (CLCT) composé de représentants des collectivités, des acteurs de l’ingénierie locale et de l’État, trois départements n’ont, par exemple, à ce jour, pas encore créé de CLCT : la Seine-Saint-Denis, le Val-de-Marne et de Mayotte.
Pointant la faible déconcentration de l’ANCT, la Cour estime que « les politiques qu’elle anime requièrent un accompagnement actif des collectivités, qui ne peut être réalisé par ses seuls services, aux effectifs majoritairement situés à Paris ». Un constat qui vient contrarier « la réalisation de l’objectif de proximité », pourtant présenté comme l’une des priorités de l’ANCT, avec « le risque à terme de devenir une agence des territoires éloignée voire absente des territoires du terrain ».
En cause, selon les magistrats, « aucun moyen spécifique » n’a été accordé aux préfets pour les « épauler » dans leur tâche, hormis l’apport de huit chargés de missions territoriaux. « Même s’il est prévu d’en doubler le nombre, ils ne pourront suffire à garantir seuls, le déploiement du soutien en ingénierie « sur mesure » promis lors de la création de l’ANCT », déplore la Cour.
Pourtant « les fonctions confiées au délégué territorial et à son équipe sont lourdes lorsqu’elles sont pleinement exercées » puisqu’un guichet unique suppose « d’orienter les élus et les porteurs de projet vers les opérateurs idoines, de suivre la progression du dossier mais également de faire le lien avec les chargés de mission territoriaux et les directions » de l’Agence.
Sans compter que « de nouvelles missions sont régulièrement confiées à l’Agence, sans que les moyens correspondants, budgétaires comme humains, soient systématiquement prévus ». Dans ce contexte, l’institution de la rue Cambon recommande que soit « précisé le cadre d’intervention du préfet de département […] et les moyens qu’il peut mobiliser pour assurer sa mission ».
De premiers résultats « satisfaisants »
Si les dispositifs tels que « Petites villes de demain », « Action cœur de ville » ou bien les « Maisons France service » fournissent de premiers résultats plutôt « satisfaisants bien qu’inégaux », la Cour note, toutefois, que l’offre nouvelle de solutions d’ingénierie « sur mesure » (pour répondre aux demandes des élus) qui avait été « fortement mise en avant dans la communication » de l’ANCT est moins importante que ce qu’il paraissait.
L’enveloppe spécifique portée à 20 millions d’euros, en 2021, recouvre, en réalité, « l’ensemble des dépenses d’ingénierie de l’agence, parmi lesquelles sa participation aux chefs de projet du programme « Petites villes de demain » et des dépenses d’accompagnement des autres dispositifs nationaux ». Résultat, « la part spécifiquement « sur mesure » s’élève à seulement environ 6 millions d’euros par an », déplorent les magistrats qui regrettent que cette offre soit « encore mal connue des élus ». « Le recours qui y est fait repose très largement sur l’implication des services déconcentrés de l’État dans le dispositif », soulignent-ils.
Sur le plan budgétaire, les magistrats font état d’une « faible lisibilité », avec des montants des dispositifs nationaux qui s’élèvent à « plusieurs milliards d’euros », tandis que le budget spécifique de l’ANCT est de « 117 millions d’euros de crédits de paiement exécutés en 2022 ». Selon eux, « l’ANCT dispose d’une faible marge de manœuvre structurelle, qui confirme la nécessité de disposer d’une analyse de sa situation financière plus précise qu’actuellement ».
In fine, la Cour affirme que l’Agence doit désormais « accentuer ses efforts sur la consolidation de son fonctionnement interne et de la gestion des moyens qui lui sont alloués, ainsi que sur l’approfondissement de son lien avec les territoires dans lesquels elle intervient ».
« La question semble moins aujourd’hui celle de la notoriété de l’ANCT représentée par le préfet délégué territorial ou celle de la « viabilité » de son projet, que de lui donner les moyens d’une normalisation de son organisation et de son fonctionnement pour lui permettre de contribuer effectivement à la territorialisation des politiques publiques », estime l’institution de la rue Cambon, qui conclut : « Pour l’avenir, la question n’est pas celle de l’utilité des missions […], mais plutôt celle de la plus-value de l’ANCT par rapport à la situation antérieure ».
SOURCE : MAIREinfo – Édition du vendredi 16 février 2024