Les problèmes d’assurance rencontrés par les collectivités n’en finissent pas d’inquiéter les élus et d’alimenter les colonnes médiatiques. Principal acteur sur ce marché (avec Groupama), Smacl Assurances a tenu une conférence de presse mardi 12 décembre pour expliquer sa situation et faire quelques propositions de réforme.
2023 a été « une année exceptionnelle » en matière de sinistres, a expliqué Eva Kaplanis, la directrice Développement et Communication de l’assureur : « Événements climatiques, émeutes, séisme de La Laigne ». « Il y a eu une augmentation des sinistres massifs et graves » . À cela s’ajoute un marché à la structuration particulière puisque « la concurrence est frileuse pour venir sur ce marché » – Smacl annonce 75% de parts de marché sur au moins un risque, Groupama 20 000 contrats essentiellement centrés sur les petites collectivités.
L’année 2024 ne s’annonce pas meilleure. Qui plus est, les réassureurs, qui n’accordent déjà plus les mêmes conditions, vont durcir encore davantage leurs conditions l’année prochaine. La prise en charge du coût des sinistres liés aux émeutes de juillet dernier par les réassureurs de Smacl a été de 20 millions d’euros alors qu’elle pèse 65 millions d’euros dans les comptes de l’assureur.
Recapitalisation et dette
Déficitaire de 140 millions d’euros en 2022, la Smacl avait dû être recapitalisée une première fois par la Maif à hauteur de 65 millions d’euros. Elle le sera une seconde fois à la fin de cette année, toujours à hauteur de 65 millions d’euros, son résultat étant à nouveau déficitaire d’environ 140 millions d’euros. La Smacl « a failli ne pas passer le mois de septembre », de l’aveu même de son directeur général Patrick Blanchard. Elle a été obligée d’émettre « une dette subordonnée » , c’est-à-dire a dû emprunter 90 millions d’euros pour ne pas avoir un ratio prudentiel inférieur à 100 % (équilibre cotisations/indemnisation des sinistres). Ce ratio est revenu aujourd’hui à 130 %.
Conclusion de l’assureur : il n’y a pas d’autres choix que d’augmenter les tarifs et les franchises, limiter les garanties, voir résilier les contrats. Mais avant cette dernière étape fatidique, Patrick Blanchard assure qu’il « y a toujours une discussion » avec l’assuré pour tenter de trouver une solution. Le nombre de résiliations serait d’ailleurs semblable en 2023 aux chiffres de 2022.
Modèle pas viable
Quoi qu’il en soit, « le modèle d’aujourd’hui n’est pas viable » , estime Patrick Blanchard qui « affirme être à l’écoute des collectivités pour répondre aux sollicitations et aux appels d’offres. Nous avons fait le choix de continuer, de rester sur ces marchés » . « Mais nous sommes à un point de bascule aujourd’hui, complète Eva Kaplanis. Comment faire pour ne pas être les seuls à répondre ? Il faut trouver des solutions ensemble » , avec tous les acteurs : collectivités, pouvoirs publics et assureurs (en ce moment, il y aurait une hausse de 25 % du nombre du procédures lancées par les collectivités du fait du désengagement des assureurs et des collectivités qui n’acceptent pas les nouvelles conditions des assureurs et qui relancent des appels d’offres).
Raison pour laquelle le directeur général de la Smacl se dit « à disposition » pour discuter d’évolution du secteur et être auditionné par les différentes missions sur l’assurabilité des collectivités (mission lancée par le ministère de l’Économie et des Finances et confiée au maire de Vesoul, membre du bureau de l’AMF, Alain Chrétien, et Jean-Yves Dages, ancien président de Groupama ; mission du Sénat).
Réglementation à revoir
L’assureur a en effet quelques pistes de réflexions à proposer. En commençant par revoir le code de la commande publique. Avec les appels d’offres, « nous ne pouvons pas discuter avec les collectivités pour avoir une vision plus précise des risques. Il y a des éléments contraignants et des règles qui ne s’accordent pas avec le code des assurances » , juge Patrick Blanchard. Les maires partagent l’idée de revoir cette règlementation.
Hiérarchiser les sinistres
Autre piste (commune à la Smacl et aux maires) : hiérarchiser les sinistres. Les plus petits (par exemple, sur les véhicules, les rétroviseurs cassés ou les dégâts causés par le jet de gravillons lors du passage des rotofils) pourraient être mutualisés ou être couverts en auto-assurance. « Des expérimentations peuvent être mises très rapidement en place », estime Patrick Blanchard. « Ces sinistres représentent 3 millions d’euros par an. Est-ce notre rôle d’indemniser ces sinistres ? » , demande Patrick Blanchard qui préférerait que les assureurs se concentrent sur l’indemnisation de sinistres de « faible à forte intensité » , et que l’État crée un fonds pour les sinistres les plus graves comme cela a été fait pour l’agriculture ou avec les 100 millions d’euros débloqués pour couvrir les dégâts causés par les émeutes.
Pour les élus locaux, les dégâts causés par les émeutes devraient même être totalement pris en charge par l’État puisque relevant de sa responsabilité.
Prévention et réassurance
La prévention constitue un autre point à travailler pour la Smacl, mais en allant plus loin que les plans de sauvegarde, destinés avant tout à protéger les populations, et que les normes de sécurité. « Il s’agit de voir comment celles-ci sont mises en œuvre au quotidien » , précise Eva Kaplanis. Autre sujet : « les incendies sont souvent liés à des travaux de réfection. La prévention permet de réduire l’intensité des sinistres » , souligne Patrick Blanchard.
Élus et Smacl souhaitent aussi mettre en place un système de réassurance stable, avec un réassureur national, mais les contours restent encore très flous sur ce point.
Les groupements de commandes peuvent très bien permettre de négocier les marchés, « mais si seulement 20 % des collectivités membres prennent l’assurance, cela n’est pas très intéressant pour l’assureur », explique Patrick Blanchard. L’appel à des acteurs étrangers ? « Cela risquerait de déclencher une nouvelle guerre des prix que la Smacl ne supportera pas » , prévient son directeur général…
Mutualisation nationale des risques ?
Faut-il mutualiser tous les risques et faire payer les assurances qui réalisent un chiffre d’affaires global de 200 milliards d’euros en France, comme l’ont proposé les élus lors du dernier Congrès des maires ? « Ce serait une forme d’impôt détourné », estime le directeur général de la Smacl. Autre écueil : la Smacl aurait des difficultés à mutualiser avec d’autres marchés (entreprises, particuliers…) car elle est déjà en « quasi en monoactivité » sur le marché des collectivités. Du côté des maires, l’idée serait toutefois un peu différente car il s’agirait en fait de faire contribuer tous les assureurs et surtout ceux qui ne travaillent pas avec les collectivités.
Les pistes de travail des élus portent également sur un éventuel élargissement du champ des assurances obligatoires. La mission Chrétien-Dages doit rendre ses propositions à Bercy pour le 31 mars au plus tard.
Revoir l’interview d’Alain Chrétien par Maire info au 105e congrès des maires.
SOURCE : MAIREinfo – Édition du mercredi 13 décembre 2023