Le chef de l’État tenait à exprimer aux maires des communes touchées par des violences après la mort du jeune Nahel « le soutien, la reconnaissance et l’estime de la Nation ». Ce, au sortir de cinq nuits d’émeutes dont le bilan matériel est effrayant.
Le ministère de l’Intérieur a publié de premiers chiffres consolidés sur ces nuits d’émeutes. En six jours, ce sont 11 113 incendies sur la voie publique qui ont été recensés, et 5 662 véhicules brûlés. 1 313 bâtiments ont été incendiés ou dégradés, dont « 245 locaux de la police (nationale ou municipale) et de la gendarmerie ».
Dans l’attente d’un bilan plus précis à l’échelle nationale, notamment sur les dégâts aux bâtiments publics, on connaît depuis hier les chiffres des dégradations sur la seule Île-de-France : 140 communes ont été touchées par des faits de violences (10 % des communes de la région), 18 mairies centrales ou annexes ont été endommagées et 36 postes de police municipale. 39 bus ont été brûlés ainsi qu’une rame de tramway, occasionnant quelque 20 millions d’euros de dégâts, selon une première estimation d’Île-de-France Mobilités.
À l’échelle nationale, ces troubles ont mobilisé quelque 45 000 forces, occasionné 722 policiers blessés et conduit à 3 354 interpellations, dont un tiers de mineurs.
« Affichage politique »
À l’Élysée, hier, Emmanuel Macron a estimé que le pire était probablement passé, se disant toutefois « prudent » sur le caractère « durable » du retour au calme. Il a longuement échangé avec les maires, dans le format « grand débat » qu’il affectionne, expliquant qu’il cherchait surtout à les « écouter » pour « comprendre » ce qui a pu se passer. « Sur le fond, quand les maires se sont exprimés, c’est surtout le clivage gauche droite qui est ressorti », commente ce matin, pour Maire info, Mohamed Gnabaly, maire écologiste de l’Île-Saint-Denis, dont l’hôtel de ville a été détruit par le feu dans la nuit de jeudi dernier. « Les maires de droite ont parlé sécurité et immigration, les maires de gauche injustice sociale et discriminations. Cela ne m’a pas mis très à l’aise, parce que j’étais venu pour parler de comment on fait société, république. Au lieu de ça j’ai eu l’impression d’entendre des positions que tout le monde connaît déjà. »
Ce sentiment est très exactement partagé par Pierre-Frédéric Billet, maire LR de Dreux, qui regrette que « pendant la première heure et demie, les maires des grandes villes de droite comme de gauche ont fait de l’affichage politique, ce qui n’avait pas grand intérêt ». Ce n’est qu’ensuite que d’autres maires « ont déroulé propositions et souhaits ». Si Mohamed Gnabaly regrette que le chef de l’État n’ait pas « livré son diagnostic et sa vision », Pierre-Frédéric Billet salue pour sa part « une grande écoute, pendant quatre heures, ce qui est appréciable ».
« Maladresse »
Au fil des débats, le chef de l’État a évoqué l’idée de sanctionner financièrement les parents des jeunes délinquants (« dès la première connerie » ). Il s’est fait lourdement reprocher, notamment par Philippe Rio, le maire de Grigny, la « mise à la poubelle » du plan Borloo en 2018, pourtant issu d’un énorme travail de « co-construction » avec les maires de banlieue. Hier, Emmanuel Macron a reconnu une « maladresse » – ce qui a paru à certains élus « un peu court » pour qualifier « une erreur majeure ». Emmanuel Macron a d’ailleurs estimé que cette « maladresse » n’avait pas mis à mal la politique de la ville : « Il y aujourd’hui plus de grues Anru sur le territoire [qu’en 2017] ».
La seule annonce réelle de cette séquence a été celle d’un projet de « loi d’urgence » permettant de « reconstruire beaucoup plus vite » et « écraser tous les délais » – ce que de nombreux maires, dont Mohamed Gnabaly, attendaient. Il s’agirait d’un projet de loi semblable à celui qui a été adopté en juillet 2019 pour la restauration de Notre-Dame de Paris, qui a permis, pour accélérer les travaux, de déroger à de très nombreuses règles d’urbanisme (mise en conformité des documents de planification, autorisations, participation du public, règles en matière de commande publique, de domanialité publique, de voirie et de transport…). Ce projet de loi devrait être présenté dès aujourd’hui en Conseil des ministres, a indiqué ce matin Christophe Béchu.
Demande de « simplification »
Sur les propositions émanant des maires qui sont intervenus, après la première séquence très politique, Pierre-Frédéric Billet retient « plusieurs lignes de force ». « D’abord le souhait très partagé d’un retour de l’autorité, en particulier celle des enseignants et des instituteurs dans les écoles. Mais aussi la demande de davantage de souplesse administrative, plus de facilité pour monter les dossiers. La question de l’autonomie financière est revenue à de nombreuses reprises, des maires expliquant très franchement qu’ils n’arrivaient plus à boucler leur budget. Il y a eu aussi des demandes concernant les polices municipales – il faut simplifier tout cela, sur la consultation des fichiers, l’interopérabilité… Il y a vraiment une demande de simplification ».
D’après le maire de Dreux – bon connaisseur du sujet puisqu’ancien cadre du ministère de l’Intérieur – le chef de l’État, « a dit vouloir avancer sur ce sujet mais en proposant des solutions surprenantes. Par exemple, quand il a parlé de mettre les polices municipales sous l’autorité des procureurs. Dans l’état actuel du droit, c’est impossible : les polices municipales sont sous l’autorité du maire, point. »
Pour Pierre-Frédéric Billet, il est possible « de faire beaucoup mieux sur beaucoup de sujets sans dépenser beaucoup d’argent », et il compte adresser un certain nombre de « propositions simples » à l’Élysée sur ce sujet. « Des choses toutes simples ! Avant, au moment de l’Anru 1, si l’on faisait des économies sur un projet, on avait le droit d’utiliser l’argent économisé et de le redéployer sur une autre dépense, simplement en obtenant l’accord du préfet. Maintenant, avec l’Anru 2, ce n’est plus possible – Bercy a repris la main. Il faut nous laisser de la liberté, et refaire confiance aux maires et aux préfets ! ».
Il reste à savoir ce qui va sortir de cette longue séance d’échanges entre les maires et le président de la République. Celui-ci s’est réuni, hier soir, avec la Première ministre et d’autres membres du gouvernement pour « débriefer » la réunion, sans que l’on sache si certaines orientations ont été décidées. Les prochaines annonces, si l’on en croit la ministre chargée des Collectivités territoriales, Dominique Faure, devraient intervenir en fin de semaine, et concerner la protection des maires contre les violences.
SOURCE : MAIREinfo – Édition du mercredi 5 juillet 2023