Cela n’aurait pu être « qu’une » démission de plus, dans un contexte où celles-ci, comme l’AMF le dénonce depuis des mois, ne font que se multiplier. Mais l’annonce de la démission de Yannick Morez a profondément choqué, tant elle semble illustrer le manque de soutien dont bénéficient des élus confrontés non seulement à des menaces, mais y compris à des actes criminels.
Domicile incendié
Ce maire a été victime, depuis des mois, d’une campagne particulièrement violente orchestrée par l’extrême droite depuis l’annonce de l’intention de la municipalité de déplacer un centre d’accueil de demandeurs d’asile (Cada) près d’une école maternelle de la commune. La campagne a d’abord été menée par des membres du parti d’Éric Zemmour, Reconquête, qui a co-organisé, au début de l’année, des manifestations pour protester contre cette décision. Le 25 février, des bagarres ont éclaté dans la commune entre manifestants pro et anti-centre d’accueil. Le maire a eu l’occasion de préciser, à de nombreuses reprises, que les « comités » qui se sont créés pour combattre le déplacement du Cada s’étaient faits sans les habitants de la commune, qui pour la plupart d’entre eux n’ont « aucun problème » avec les demandeurs d’asile.
Le maire a été menacé, avec notamment des lettres de menace déposées dans sa boite aux lettres personnelle. La situation s’est tendue jusqu’au point culminant, atteint le 22 mars, quand des individus ont mis le feu à la voiture du maire, stationnée devant chez lui, et que les flammes se sont propagées à sa maison, où il se trouvait avec son épouse.
Il faut préciser que le parti Reconquête s’est désolidarisé de cet attentat.
Le maire s’est largement exprimé, depuis, pour dénoncer le manque de soutien des autorités de l’État face à cette situation. Enfin, mardi dernier, il a posté un message sur le compte Facebook de la commune, annonçant qu’il avait adressé une lettre de démission au préfet de la Loire-Atlantique. « J’ai pris cette décision pour des raisons personnelles, notamment suite à l’incendie criminel perpétré à mon domicile et au manque de soutien de l’État, et après une longue réflexion menée avec ma famille. »
« Abandon » de l’État ?
Cette annonce, qui a été assez largement médiatisée, a poussé les plus hauts responsables de l’État – jusqu’à Emmanuel Macron – à réagir. Le chef de l’État a twitté hier : « Les attaques contre Yannick Morez, maire de Saint-Brevin-les-Pins, et contre sa famille, sont indignes. À cet élu de la République, à son épouse et ses enfants, je redis ma solidarité et celle de la Nation. » La Première ministre, Élisabeth Borne, a estimé depuis La Réunion que « ce qui s’est passé est très choquant » et a promis de « mieux protéger les maires ».
À l’Assemblée nationale et au Sénat, les parlementaires de gauche ont très vivement dénoncé «l’abandon de l’État », et on fait applaudir debout le maire de Saint-Brévin-les-Pins – applaudissements auxquels seuls les députés du Rassemblement national ont refusé de se joindre.
Les responsables de la majorité se défendent en indiquant avoir « tout fait » pour protéger l’élu. Si Dominique Faure, ministre chargée des Collectivités locales, a adressé « tout son soutien » à Yannick Morez, estimant que « chaque agression, chaque démission est un recul de notre démocratie », elle s’est également défendue d’avoir « abandonné » le maire.
Celui-ci a en effet affirmé, dans une interview à l’émission Envoyé spécial, avoir « prévenu la gendarmerie » lorsqu’il a reçu des menaces. « Que s’est-il alors passé ? », demande l’intervieweuse. « Rien », répond le maire, qui précise que les gendarmes ont invoqué « la liberté d’expression ». « Je ne suis pas sous protection », poursuit le maire qui évoque un entretien avec le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, le soir de l’incendie, après lequel « rien ne s’est passé».
Dominique Faure conteste cette version : « Je ne peux laisser dire cela », a-t-elle twitté hier. « L’État s’est tenu aux côtés de Yannick Morez. Rondes régulières devant son domicile. Inscription de ce dernier au logiciel de la gendarmerie pour permettre une intervention rapide. »
Le Sénat, au regard de l’ampleur que prend la polémique, a décidé de faire auditionner le maire par sa commission des lois, le 17 mai, pour connaître sa version. « Les maires doivent, en toutes circonstances, bénéficier d’une protection à la hauteur de leurs engagements et responsabilités », indique le président de la commission des lois, François-Noël Buffet, dans un communiqué.
On peut noter que les propos de plusieurs membres de la majorité laissent transparaître un certain malaise, et contredisent en partie les affirmations de Dominique Faure sur « le soutien » de l’État. Aurore Bergé, députée Renaissance, a déclaré hier : « Si jamais il y avait eu des manquements, je pense qu’on saura exactement et précisément ce qu’il s’est passé ». Quant à la Première ministre, elle a déclaré que le gouvernement allait « poursuivre son action pour pouvoir intervenir plus tôt ».
« Des réponses à la hauteur des enjeux »
L’AMF a exprimé hier « son soutien et son entière mobilisation en faveur de Yannick Morez ». « Sa démission est une énième manifestation de la violence à laquelle doivent de plus en plus faire face les élus dans l’exercice de leur mandat. Ces pressions et agressions qu’ils subissent, y compris par des groupes organisés comme en l’espèce, mettent en cause tout leur équilibre de vie, personnel, familial et professionnel. C’est inacceptable. » L’association présidée par David Lisnard estime que «les maires doivent être soutenus par des actes, et non seulement des paroles encourageantes. » Elle « réitère son appel à mener un travail conjoint avec l’exécutif pour apporter des réponses à la hauteur des enjeux ».
L’APVF (Association des petites villes de France) a également exprimé sa colère dans un communiqué, hier. « L’APVF interpelle depuis plusieurs années le gouvernement sur le phénomène croissant de menaces et de violences à l’encontre des élus locaux, dont le cas de Saint-Brevin-les-Pins atteste, malheureusement, spectaculairement. » « Force est de constater », poursuit l’association, que malgré les circulaires émises par le ministre de la Justice, « l’action publique n’est pas toujours engagée avec l’ampleur requise » lorsqu’un élu est menacé.
Rappelons que Dominique Faure a annoncé récemment la création à venir d’une « cellule d’analyse et de lutte » dédiée aux atteintes contre les élus. De quels moyens sera dotée cette cellule ? Quels seront ses objectifs et ses capacités d’actions ? Existera-t-il, comme le réclame l’AMF, une plate-forme nationale d’enregistrement et de suivi des plaintes ? La réponse à ces questions est plus que jamais attendue par l’AMF et les maires eux-mêmes. Au-delà, la question des moyens d’enquête reste posée, et l’AMF s’y dit très attentive : faute de moyens d’enquête suffisants, le suivi pénal est judiciaire s’avère impossible.
SOURCE : MAIREinfo – Édition du vendredi 12 mai 2023