Sang-froid, équilibre et lucidité : telles sont les qualités requises pour affronter le « ZAN », dispositif issu de la loi Climat et résilience, que souhaitent « corriger » les sénateurs pour assurer sa mise en œuvre effective. Depuis son apparition en 2018 dans le plan Biodiversité, l’objectif de zéro artificialisation nette des sols d’ici 2050 reste un sujet explosif. Sans en avoir les moyens, les élus locaux doivent faire face, très pragmatiquement, au phénomène mondial du changement climatique. Le Sénat œuvre depuis plusieurs mois pour rationaliser le débat et rendre applicable le dispositif dans tous les territoires, y compris ruraux. L’examen du texte en séance publique a démarré le 14 mars : son contenu s’est enrichi au fil des amendements, pour être adopté dans la nuit du 15 au 16 mars.
Calendrier « réaliste », gouvernance « territorialisée »
En premier lieu, le texte adopté au Sénat décale d’un an l’entrée en vigueur des Sraddet modifiés pour intégrer les objectifs de la loi Climat et résilience. Par ailleurs, le texte autorise la tenue simultanée de la consultation du public et des personnes publiques associées, et réduit le délai d’approbation du préfet de trois à un mois. Il permet aussi la consultation simultanée des personnes publiques associées et du public lors de la modification des Scot et PLUi, de même que la saisine de la commission départementale de conciliation en cas de difficultés sur l’application du ZAN.
Sur la gouvernance, le texte prévoit toujours d’instaurer une nouvelle instance, au-delà des conférences des Scot prévues par la loi Climat. Il s’agit de la « conférence régionale de gouvernance de la politique de réduction de l’artificialisation », « incarnation organique de la volonté de territorialiser la mise en œuvre du principe de ZAN des sols, en cohérence avec les principes de libre administration des collectivités territoriales, de subsidiarité et de différenciation défendus par le Sénat », indique le communiqué du Sénat du 17 mars.
Grands projets : une liste couvrant un large spectre
Le texte sort du décompte ZAN les projets de « construction, d’aménagement, d’infrastructures ou d’équipements d’ampleur nationale ou européenne et qui présentent un intérêt général majeur ». Et allonge la liste, en y incluant les projets à maîtrise d’ouvrage directe ou déléguée de l’État ; ceux relevant d’une concession de service public de l’État ; « les projets d’implantation d’unités industrielles valorisant l’utilisation d’une ressource naturelle renouvelable, concourant à la transition énergétique, ou relevant de l’indépendance nationale, ou représentant un intérêt pour la souveraineté économique nationale ou européenne » ; les projets « d’agrandissement ou de création d’infrastructures ou d’équipements interrégionaux, nationaux ou européens » ; ou « toutes actions ou opérations d’aménagement réalisées au sein des circonscriptions des grands ports maritimes ou fluvio-maritimes de l’État ». Ces projets feraient l’objet d’une inscription dans le Sraddet, après avis de la conférence régionale du ZAN, mais aussi des communes et EPCI « sur le territoire desquels ces projets sont implantés ».
Garantie rurale : bonus pour les communes nouvelles
Considérée comme un « garde-fou » par son instigateur Jean-Baptiste Blanc, la garantie rurale du Sénat prévoit d’attribuer à chaque commune un hectare par décennie pour ne pas bloquer leur développement. Une ligne rouge pour le ministre Christophe Béchu, venu défendre l’approche du gouvernement – et celle de la proposition de loi concurrente à l’Assemblée : « Un hectare pour tous, cela me pose un problème : je n’ai jamais pensé que la justice résidait dans le fait de donner la même chose à tout le monde. Des communes avec quelques habitants seraient traitées comme celles de 2 000 habitants. UrbanSIMUL permet de connaître le nombre d’hectares qui ont été urbanisés et ce que représenterait le 1 % proposé pour chaque commune. ». Le texte final ajoute au droit à l’hectare une majoration de 0,5 ha par commune déléguée, avec un plafond à 2ha, pour les communes nouvelles.
Friches, érosion côtière et outils juridiques
Sur la nomenclature des sols – dont on attend une deuxième mouture d’ici juin –, le texte reconnaît comme non artificialisée « une surface à usage résidentiel, de loisirs, ou d’infrastructures de transport, dont les sols sont couverts par une végétation herbacée ». Apport du débat en séance publique, est aussi considérée comme non artificialisée « une surface occupée par des constructions, des installations et des aménagements nécessaires à l’exploitation agricole ». Afin de favoriser leur réhabilitation, les friches sont clairement désignées comme des surfaces artificialisées. Tenant compte du recul du trait de côté, le texte prévoit aussi que « les surfaces artificialisées rendues impropres à l’usage en raison de l’érosion côtière ayant fait l’objet d’une renaturation (…) sont décomptées de l’artificialisation ou de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers constatée sur la période de dix ans concernée. »
Sur les outils devant armer les maires pour l’application du ZAN, le texte conserve ses dispositifs initiaux de sursis à statuer sur certains permis, et de droit de préemption « sur les espaces propices à la renaturation ou au recyclage foncier ». L’État est par ailleurs sommé de mettre à disposition des collectivités, gratuitement et sous format numérique, les « données complètes et continues de consommation d’Enaf, d’artificialisation et de renaturation des sols (…), ainsi que les données et les cartographies relatives aux friches établies par l’État. ». De quoi constituer un « référentiel commun » entre État et collectivités, crucial pour des débats éclairés. Prochaine étape : l’inscription du texte à l’ordre du jour – déjà chargé – de l’Assemblée nationale. Reste que son avenir au Palais Bourbon semble assez incertain, puisque le gouvernement, au Sénat, a contesté par amendement six articles sur 13 – ce qui ne correspond pas au soutien qu’il avait annoncé précédemment. Ces six amendements ont été rejetés par le Sénat. Il risque de ne pas en aller de même à l’Assemblée, où le gouvernement dispose d’un majorité, même relative.
Consulter le texte adopté par le Sénat.
SOURCE : MAIREinfo – Édition du lundi 20 mars 2023