C’est encore une nouvelle démonstration des difficultés, pour le gouvernement, créées par l’absence de majorité absolue à l’Assemblée nationale : les oppositions se sont de nouveau retrouvées d’accord, la semaine dernière, pour imposer une mesure que la majorité présidentielle ne voulait pas : la compensation intégrale aux collectivités du coût de l’augmentation du point d’indice des fonctionnaires territoriaux.
Qui décide paye
Cette compensation avait encore été réclamée, mardi dernier, par les élus de l’association Villes de France, devant leur ancienne présidente devenue entretemps ministre chargée des Collectivités territoriales, Caroline Cayeux. Depuis le mois de mars, lorsque l’augmentation du point d’indice a été annoncée, l’AMF et la Coordination des employeurs territoriaux avaient demandé « que soient dégagées de nouvelles ressources afin de préserver l’autonomie financière des collectivités » face à cette dépense nouvelle.
Caroline Cayeux, la semaine dernière, s’était dite, à titre personnel, favorable à une telle compensation, et devait en parler le même jour avec son homologue chargé du Budget, Gabriel Attal. Rien n’a filtré de leur entretien et on ne connaît pas, à cette heure, le point de vue du gouvernement sur cette question – mais on a pu constater mercredi que les députés de la majorité présidentielle, eux, sont opposés à une telle compensation.
Chacun a en effet pu s’exprimer sur le sujet mercredi 13 juillet, lors de l’examen par la commission des finances de l’Assemblée nationale du projet de loi de finances rectificative (PLFR).
Ce sont des députés du groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires qui ont lancé le débat en proposant un amendement visant à « assurer, pour les collectivités territoriales, une compensation à l’euro près de la revalorisation du point d’indice dans la fonction publique ». Ces députés estiment en effet, conformément à la célèbre formule de François Baroin « qui paye décide, qui décide paye », que « la décision de revalorisation est actée de manière unilatérale par l’État et s’impose aux budgets locaux », et qu’il « est donc normal que l’État assure seul le coût des décisions qu’il prend ».
La hausse de 3,5 % du point d’indice aura un coût de 2,3 milliards d’euros par an, en année pleine, pour la fonction publique territoriale. Pour cette année 2022, la mesure ne s’appliquant que sur les six derniers mois de l’année, le coût sera de 1,136 milliard d’euros. « Avec la hausse des dépenses de l’énergie, les budgets locaux sont déjà fortement impactés et ne pourront pas faire face à ce coût supplémentaire », plaident les députés signataires de l’amendement (Bertrand Pancher, Michel Castellani et Charles de Courson). L’amendement prévoit donc de créer un prélèvement opéré sur les recettes de l’État, à hauteur de 1,136 milliard d’euros, permettant de compenser entièrement le surcoût de la mesure pour les collectivités.
Amendement « de bon sens »
Lors de la réunion de la commission des finances, des députés de chaque groupe se sont exprimés sur cet amendement, et, de nouveau, tous les groupes d’opposition l’ont soutenu, tandis que les députés macronistes ont tenté, en vain, d’y faire barrage.
Damien Maudet, pour la France insoumise, a soutenu « la philosophie générale de l’amendement », en expliquant que « l’État doit assumer son rôle et mettre les moyens en conséquence ». Le socialiste Philippe Brun a noté que dans la commune dans laquelle il est élu, Louviers (Eure), la facture énergétique a augmenté de « 450 000 euros ». « Il faut que l’État vienne en aide aux collectivités publiques, c’est un amendement de bon sens ». Le communiste Nicolas Sansu n’a pas dit autre chose : « L’augmentation du point d’indice est bienvenue, mais les budgets 2022 ne la prévoient pas. » L’ancien maire de Vierzon en a profité pour relayer la demande « de l’AMF et du CFL » d’une loi de finances dédiée aux collectivités.
À droite, Véronique Louwagie, pour les Républicains, a dit sa « surprise » d’avoir constaté que dans le PLFR, « l’impact des mesures prises pour les collectivités ne soit pas du tout évoqué ». Dans son département de l’Orne, entre les mesures du Ségur, l’augmentation du prix de l’énergie, celle du point d’indice, la facture va se chiffrer à « 10 millions d’euros ». Les Républicains soutiennent donc cette compensation. À l’extrême droite enfin, Philippe Lottiaux, du Rassemblement national, a lui aussi soutenu l’amendement, en expliquant que « l’autonomie financière des collectivités locales est de plus en plus relative ».
Pour la majorité, les finances locales « peuvent encaisser » la dépense
Seuls les députés d’Ensemble (majorité présidentielle) ont combattu cet amendement, à commencer par le rapporteur du texte, le député du Gers Jean-René Cazeneuve, qui a estimé que la situation financière des collectivités leur permettait largement d’assumer elles-mêmes le coût de l’augmentation du point d’indice : « Les recettes des collectivités sont extrêmement dynamiques – que ce soit la TVA, la taxe foncière… » De façon quelque peu étonnante, le député du Gers a soutenu que cette compensation mettrait en péril l’autonomie financière des collectivités locales. Le même point de vue a été défendu par le député Pascal Lecamp, maire « pour quelques semaines encore » de la commune de Civray, dans la Vienne. « Les recettes sont bien là, en excès, le problème est qu’elles ne sont pas toujours bien réparties entre les communes et les communautés de communes. Mais ce n’est pas du ressort de notre commission. » Quant au député Renaissance du Val-de-Marne, Mathieu Lefèvre, il a estimé qu’on « ne peut pas tout demander à l’État, qui porte déjà la majeure partie du déficit public. » En fin de débat, Jean-René Cazeneuve a repris la parole pour affirmer qu’il ne fallait pas laisser croire que les finances des collectivités « seraient en péril » : « La capacité d’autofinancement des collectivités est de 45 milliards d’euros. L’impact [de la hausse du point d’indice] est de 1,14 milliard d’euros. C’est 0,5 % des recettes, il faut le ramener à sa juste proportion ! Les finances locales peuvent parfaitement encaisser cela. »
Les députés de la majorité n’ont pas convaincu la commission, qui a voté l’amendement.
Il reste à savoir si le vote sera le même en séance publique – où le texte sera débattu entre jeudi et vendredi prochain. Mais au vu des rapports de force, si les groupes politiques votent en séance de la même façon qu’en commission, la mesure a toutes les chances d’être adoptée. Sauf si la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, comme elle en a le pouvoir, censure cet amendement au titre de l’article 40 de la Constitution, qui interdit l’adoption d’amendements lorsque ceux-ci « créent ou aggravent une charge publique ». La présidente du Palais-Bourbon a déjà fait jouer cette possibilité la semaine dernière mais, cette fois, la chose risque d’être plus difficile, dans la mesure où la charge nouvelle créée par cette compensation est compensée, précise l’amendement, par la création d’un taxe additionnelle sur les tabacs.
Réponse, en séance, à la fin de la semaine.
SOURCE : MAIREinfo – Édition du lundi 18 juillet 2022