« Scandale », « fiasco », « catastrophe industrielle », « krach industriel » … Les termes employés par les sénateurs sont particulièrement virulents pour décrire la série de ratés qui ont émaillé la distribution de la propagande électorale lors des élections départementales et régionales de juin dernier. Pour eux, le constat est clair : « L’État a failli à la mission qui lui incombe d’organiser les élections dans de bonnes conditions » malgré le « désastre annoncé » lors des semaines précédant les deux scrutins.
Présentées hier par le président de la commission des lois, François-Noël Buffet, lors d’une conférence de presse, les conclusions de la mission d’information sénatoriale – créée au sein de la commission des lois et dotée des pouvoirs de commission d’enquête – ciblent ainsi particulièrement le ministère de l’Intérieur, mais aussi la société Adrexo, qui a récupéré en 2020 (et pour quatre ans) une partie du monopole de La Poste à la faveur de la transposition d’une directive européenne sur l’ouverture à la concurrence du service postal.
Régionales : 4 Français sur 10 n’ont rien reçu au deuxième tour
Premier constat, les chiffres qui ont été communiqués ont « manifestement » été « sous-estimés » tant par le ministre de l’Intérieur que par les opérateurs chargés de la logistique électorale.
Ainsi, au premier tour, on serait bien loin des 5,3 % (départementales) et 7,2 % (régionales) de non-distribution avancés par la société Adrexo. Dans les faits, un Français sur quatre n’aurait pas reçu de propagande électorale, selon les résultats d’une enquête « à paraître » du Cevipof et de l’AMF, confirmant les « remontées des préfectures qui, toutes sans exception, font état de graves difficultés d’acheminement dans les zones couvertes par cette société ». Les 9,5 % de non-distribution calculés par La Poste semblent, eux, « plus plausibles », selon le rapport.
Au second tour, « de l’aveu même des opérateurs, 26,6 % des électeurs n’ont reçu aucune propagande pour les élections départementales et 40,3 % pour les élections régionales, cette proportion se montant même à plus de 90 % dans plusieurs départements ». Et encore, « ces statistiques sont-elles vraisemblablement sous-évaluées », estiment les sénateurs qui suggèrent que ces ratés ont vraisemblablement porté « atteinte à la sincérité du scrutin » et ont « peut-être également contribué à la très faible participation » (interrogé dans le rapport, un élu local estime, par exemple, la perte de participation en lien avec ces défaillances « à 20 points » dans son village).
« Enchaînement de défaillances »
Ces derniers observent ainsi que « les graves manquements observés au premier tour dans la distribution de la propagande électorale se sont mués, malgré le scandale naissant et le resserrement du contrôle du ministère, en une véritable »catastrophe industrielle » au second tour, en raison des difficultés rencontrées à l’amont de la chaîne de production, lors de l’impression des documents et, surtout, de leur mise en pli et de leur routage ».
Ces dysfonctionnements « majeurs », s’ils sont dus à « un enchaînement de défaillances à plusieurs étapes du processus » d’acheminement de la propagande électorale, sont « largement imputables à l’attribution par le ministère de l’Intérieur de l’organisation d’une partie des opérations de mise sous pli, de routage et de distribution à des opérateurs qui n’en avaient pas la capacité opérationnelle ».
La compétence du prestataire Adrexo en matière de distribution de courrier est particulièrement interrogée. Celle-ci a été estimée à 87,5 % de son chiffre d’affaires lors de la passation de marché, alors que seul 3,3 % du chiffre d’affaires d’Adrexo correspondait effectivement à la distribution de courrier, le reste étant lié à la distribution d’imprimés publicitaires.
Autre critique envers le prestataire : un recours massif à des intérimaires recrutés et formés de manière « expéditi[ve] ». Pour ne rien arranger, ces derniers ont reçu des consignes de distribution « erratiques », « ce qui est en partie le fait du ministère lui-même », précisent les auteurs du rapport.
Porter à deux semaines le délai de l’entre-deux-tours
Afin de garantir la distribution de la propagande électorale lors des prochains scrutins, notamment les élections présidentielle et législatives de l’an prochain, la commission des lois préconise ainsi au ministère de l’Intérieur de « poursuivre les investigations sur les manquements des distributeurs, notamment de la société Adrexo » et d’envisager la résiliation « dès cette année » de l’accord-cadre signé avec cette dernière.
Plus globalement, elle formule 11 autres recommandations, parmi lesquelles elle propose de «revoir les critères de sélection des candidats au marché de la distribution » et suggère de porter d’une à deux semaines le délai de l’entre-deux-tours « en cas de concomitance de deux élections générales ».
SOURCE : MAIREinfo – Édition du vendredi 23 juillet 2021