La nouvelle ne devrait guère réjouir Bercy. Les collectivités vont devoir « plus que doubler » leurs investissements climatiques actuels si elles veulent « s’aligner avec les objectifs de la planification écologique ». C’est ce qu’affirment l’Institut de l’économie pour le climat (I4CE) et la Banque postale, dans leur nouveau « Panorama des financements climat des collectivités locales », paru ce matin.
Une préconisation qui a de quoi faire tressaillir le ministre démissionnaire de l’Economie, Bruno Le Maire, qui accuse, depuis la rentrée, les collectivités d’être bien trop dépensières et de faire dériver les comptes publics de « 16 milliards d’euros » cette année. Des accusations fondées sur des données « fallacieuses », a répliqué le Comité des finances locales, et d’ores et déjà remises en cause par la commission des finances de l’Assemblée nationale.
Bloc communal : 7 milliards supplémentaires par an
Bien que « les collectivités accélèrent » et investissent de plus en plus dans la transition, cela reste toujours insuffisant, estime donc l’étude de l’I4CE. Si les communes, les départements et les régions comptent faire respecter les engagements climatiques pris par la France, elles vont devoir solliciter encore davantage leur budget.
D’autant qu’elles ont un « rôle majeur à jouer ». Selon les auteurs du panorama, « les besoins d’investissement climat des collectivités dans les secteurs du bâtiment, des transports et de l’énergie sont estimés à 19 milliards d’euros au minimum, par an et en moyenne » jusqu’en 2030. Horizon auquel l’Etat s’est engagé à réduire de 55 % les émissions de gaz à effet de serre.
Or, on en est encore loin, à en croire l’institut. Pour y parvenir, il faudrait que les élus locaux débloquent « près de 11 milliards d’euros d’investissements supplémentaires chaque année » jusqu’à la fin de la décennie. Ce qui représente « plus qu’un doublement par rapport à 2022 (+ 130 %) ». Et encore, l’I4CE s’est concentrée uniquement sur la France métropolitaine et a « exclu de facto les collectivités d’outre-mer ».
Dans le détail, ce sera au bloc communal de fournir le plus gros effort, « en cohérence avec son poids dans l’investissement public local ». Il devra donc porter à lui seul « près de deux tiers de l’effort d’investissement, soit 7 milliards d’euros supplémentaires par an en moyenne d’ici à 2030 ».
Départements et régions devront, quant à eux, injecter chacun plus ou moins 2 milliards d’euros supplémentaires. Une somme qui ne prend pas en compte les financements croisés des collectivités, « en particulier ceux des régions et des départements pour financer les investissements du bloc communal ».
Les transports et les bâtiments en priorité
Si les investissements des collectivités locales en faveur du climat ont déjà progressé de 44 % depuis 2017 (pour atteindre les 10 milliards d’euros l’an passé) dans les secteurs du bâtiment, des transports et de l’énergie, ces efforts doivent être « nuancés », explique l’institut, du fait de l’inflation et de « l’effet prix important », qui a « notamment concerné le secteur des bâtiments et des travaux publics ces dernières années ».
Concrètement, c’est sur deux postes principaux que devront désormais se concentrer les efforts des collectivités. Près de la moitié des besoins d’investissement (49 %, soit 9,4 milliards d’euros) devront porter sur les infrastructures de transport en commun, ferroviaires, fluviales mais aussi les aménagements cyclables.
L’autre moitié, elle, devra porter sur la rénovation énergétique des bâtiments des collectivités, la modernisation des équipements d’éclairage public et le verdissement de leur flotte de véhicules (44 % des besoins, soit 8,3 milliards d’euros)
Reste 1,4 milliard d’euros (soit 7 % des besoins) qui devront être investis dans le développement des réseaux de chaleur, des infrastructures de recharge électrique ou le soutien à la rénovation des logements sociaux, estime l’I4CE.
Un recours à l’emprunt inévitable
Cependant, « les communes, intercommunalités, départements et régions, à supposer qu’ils le veuillent, sont-ils en capacité d’investir à hauteur de [ces] besoins ? », s’interroge l’I4CE.
D’autant qu’il y a de quoi s’y perdre tant les injonctions faites aux collectivités sont contradictoires : la sobriété financière réclamée par Bercy, d’un côté, et les dépenses importantes induites par les objectifs que s’est fixés le pays, de l’autre.
Afin de « franchir le mur des investissements locaux pour le climat », l’institut propose quatre scénarios, qui mobilisent autant de leviers : la redirection des investissements des collectivités en faveur de la transition écologique (« au détriment d’autres équipements » ), le « recours accru à l’emprunt » pour les financer, la mobilisation des « ressources propres » à travers « la fiscalité, les tarifs et les cessions d’immobilisation », ainsi qu’un « soutien de l’Etat par les dotations » qui devra être « plus stable et prévisible dans le temps ».
Tous ces scénarios débouchent, toutefois, sur une « augmentation importante du recours à l’emprunt » puisque « aucun des leviers […] ne vient, dans aucun scénario étudié, absorber en totalité l’augmentation prévue des investissements ». Résultat, l’ajustement se fait nécessairement par l’emprunt.
Cadre budgétaire « incompatible »
Le problème est que « le contexte politique et budgétaire rend incertaines les décisions qui pourraient être prises dans les semaines et mois à venir ». Après avoir déjà coupé 400 millions d’euros dans le Fonds vert en début d’année, le gouvernement démissionnaire avait annoncé récemment la suppression de 1,5 milliard d’euros d’autorisations d’engagements consacrés à cette enveloppe qui passerait donc de 2,5 milliards d’euros à 1 milliard. Une décision qui ne pourra, toutefois, être définitivement actée que par le nouvel exécutif dirigé par Michel Barnier.
Dans le contexte actuel, les auteurs de l’étude appellent donc celui-ci à « ne pas brouiller le signal envoyé aux acteurs locaux […] par des coupes budgétaires aux conséquences mal évaluées » et de « maintenir un contexte favorable à un investissement local dynamique ».
Par ailleurs, ils estiment que « le cadre offert par la loi de programmation des finances publiques 2023-2027 et le programme de stabilité (PSTAB) d’avril 2024 apparaît […] incompatible avec une accélération des investissements locaux à la hauteur des besoins identifiés » car il nécessite « un désendettement rapide des collectivités grâce à un net ralentissement de leurs dépenses de fonctionnement et une baisse de leurs dépenses d’investissement les prochaines années ».
Ils affirment donc qu’une « nouvelle trajectoire de finances locales doit être définie ». Une trajectoire qui serait « plus crédible et bâtie en cohérence avec la stratégie pluriannuelle de financement de la transition écologique, dont l’adoption est prévue pour cet automne ».
Alors que « des disparités territoriales très fortes » persistent, l’institut assure que « c’est dans l’analyse de chaque territoire, chacun selon ses besoins, et chacun selon ses capacités, que l’équation économique pourra être posée afin d’établir dans la durée l’accélération de l’action climatique locale ».
SOURCE : MAIREinfo – Édition du vendredi 13 septembre 2024